Les années folles
l’affaire
des femmes, je m’en mêle pas, déclara sèchement Ernest. Tout ce que je sais, c’est
qu’il est pas question de toucher à rien avant le réveillon.
Près de la table, Céline et Anne, occupées à mélanger les divers
ingrédients pour leur recette de sucre à la crème et de fondant au chocolat, échangèrent
un sourire de connivence.
– Batèche !
C’est de valeur que ma sœur ait pas le tour de faire la cuisine, fit Turcotte
en adoptant un air misérable. Il me semble que ce serait tellement bon une
bonne tourtière ou une bonne tarte des fois.
Elphège
Turcotte attendit vainement une réplique d’Ernest Veilleux. Vêtu de son épais
manteau de drap brun, il prenait tout son temps à le boutonner.
– Attends, Elphège,
finit par dire Yvette Veilleux, toujours aussi généreuse. Tu vas apporter une
tourtière à Rose-Aimée. Vous la mangerez au réveillon.
Yvette
alla chercher un pâté à la viande dans la cuisine d’été et le mit dans un sac
qu’elle tendit à Elphège Turcotte.
– T’es ben
fine, Yvette, la remercia-t-il. Je vais te rapporter ton assiette de tôle.
Quand l’importun
eut enfin quitté la maison, Ernest ne put s’empêcher de grommeler :
– Le maudit
quêteux ! Je te gage cinq cennes qu’il s’en va quémander aussi à côté. Quand
il va avoir fini sa tournée dans le rang, sa sleigh va être pleine de manger et
il va avoir avec sa sœur un aussi bon repas que nous autres sans qu’elle ait eu
à faire à manger.
– Ernest, quand
on fait la charité, on a pas à critiquer, le réprimanda sa femme.
– Aie ! Yvette
Dubé, viens pas me faire des sermons dans ma maison comme le curé Lussier, la
rembarra sèchement son mari.
Ça
sentait aussi bon au presbytère en cette veille de Noël. Depuis trois jours, Agathe
Cournoyer et Gabrielle Paré faisaient mijoter sur le poêle toutes sortes de
bonnes choses dont les odeurs se répandaient dans tout l’édifice.
Le curé Lussier, installé
au salon, lisait pour la centième fois la lettre pastorale de monseigneur Côté,
lettre dont il avait prévu de s’inspirer dans son sermon de la messe de minuit.
Même s’il l’avait déjà lue à plusieurs reprises à ses ouailles durant les
derniers mois, les sujets abordés dans la missive du vieux prélat de
quatre-vingt-deux ans restaient d’actualité, surtout durant la période des
fêtes. Il ne fallait pas que ses paroissiens succombent à l’ivrognerie, aux
danses lascives et au cinéma. Il était nécessaire de se montrer d’autant plus
vigilant et sévère que monseigneur Côté n’était pas parvenu à empêcher l’ouverture
d’une salle de cinéma à Pierreville. Une autre invention du diable. Comme si ça
avait de l’allure d’asseoir dans l’obscurité des hommes et des femmes ! Une
véritable occasion de pécher !
Le prêtre fut
interrompu dans sa lecture par l’arrivée de son vicaire. Il jeta un coup d’œil
au jeune homme par-dessus ses lunettes qui avaient glissé sur son
nez.
– Est-ce que
tout est prêt pour ce soir, l’abbé ?
– Oui, monsieur
le curé. J’ai eu pas mal de monde à la confesse une bonne partie de l’après-midi.
– Tant mieux.
– C’était pas
facile de garder un climat de piété avec la chorale qui répétait dans le jubé, surtout
que ça avait l’air de brasser un peu.
– Bon. Ça, c’est
encore Adrien Caron. Comme chaque année, notre maître chantre doit trouver que
la chorale l’enterre quand il chante Adeste fideles et que mademoiselle
Perreault joue trop fort quand elle l’accompagne pour son Minuit, chrétiens. C’est la même histoire chaque Noël.
– Tout ce que
je sais, c’est que ça discutait pas mal fort. J’ai même dû sortir du
confessionnal pour leur demander de baisser la voix.
– Je vous parie que nous allons voir arriver Clémence
Perreault, tout énervée, avant le souper. Comme chaque année, elle va se
plaindre d’Adrien et menacer de laisser tomber la chorale et, évidemment, elle
se laissera persuader de continuer. Si elle vient après le souper, pendant que
je confesserai, vous me l’enverrez à l’église pour que je la calme.
– D’accord, monsieur
le curé.
Il
y eut un bref silence entre les deux prêtres. Au moment où
l’abbé Martel allait ouvrir son bréviaire, son supérieur reprit :
– Vous m’avez
bien dit que vous aviez rien de prévu pour demain, l’abbé ?
– Non, monsieur
le curé. J’irai peut-être voir
Weitere Kostenlose Bücher