Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
Vom Netzwerk:
trouble qui agitait également celle de ses collègues. Le vieux rêve, tenace, d’une entente avec le Roi vivait encore en eux, malgré tout. Ceux-là mêmes qui avaient porté au trône les plus rudes coups ne pouvaient se défendre d’une crainte confusément superstitieuse ni d’une compassion pour cette famille tant honnie et qu’ils voyaient fort digne dans l’angoisse, dans le lamentable état où elle se trouvait réduite.
    À l’Hôtel de ville, l’armée du faubourg avait attendu plus d’une heure. À l’instant décisif, l’énorme Santerre hésitait, peu confiant dans ses troupes, nombreuses mais sans aucune expérience du combat. Si l’on en venait là, elles se heurteraient à des soldats aguerris, vainqueurs en mainte bataille. Ils pourraient bien gagner celle-ci. Santerre ne doutait pas seul. Barbaroux, qui attendait le faubourg au pont Saint-Michel, portait sur lui du poison. Il fallait réellement, comme l’avait dit Danton, vaincre ou mourir. Ce n’était plus des mots.
    Sur la Grève, on s’impatientait, on parlait. D’aucuns prétendaient que la Commune espérait encore un changement de la Cour devant la mobilisation du peuple, d’autres, que le faubourg Saint-Marceau n’était pas prêt. L’horloge, sous le campanile, marquait près de huit heures. Le soleil chauffait déjà. Finalement, les hommes à piques en eurent assez. L’un d’eux : un rousseau de grande taille, le visage, les mains, les bras aux manches roulées, constellés de taches, le nez en pied de marmite, s’écriait que, foi de Guillot, il ne resterait pas là debout sur ses pattes, à suer comme un cheval et ne rien faire d’autre pendant que le comité autrichien livrait la France. Pour arme, ce Guillot, compagnon chaudronnier dans le quartier du Temple, portait une hallebarde damasquinée qui devait dater d’Henri III. Afin de la mettre au goût du jour, il avait ajouté sous le fer une frange tricolore. « Moi, j’y vais, dit-il. Si nous tardons, nous serons égorgés avant d’avoir eu le temps de détourner la tête. » Il entraîna sa section, d’autres suivirent. Ils furent un millier à se dégager de la garde nationale. Elle voulait les retenir. « Vous allez vous faire massacrer ! » se récrièrent les fédérés de Brest encore en rangs sur la levée. Anciens soldats pour la plupart, ils voyaient avec effroi ces malheureux qui ne réunissaient pas, à eux tous, vingt fusils, aller affronter les troupes de la Cour. Comme ils ne voulaient rien entendre, quelques Bretons, après un instant d’hésitation, les rejoignirent, les encadrèrent.
    Lorsqu’ils parvinrent aux abords du Carrousel, par la rue Saint-Honoré, après avoir ramassé au passage d’autres section-naires mais surtout des badauds, il n’y avait toujours pas grand monde sur la place où se répandait la nouvelle du départ du Roi pour l’Assemblée. La grosse Margot, en rentrant, venait de la rapporter à Lise et à Claude. Ils descendaient maintenant de chez eux en hâte, pour aller au Manège. Tout se ferait là. En s’enfonçant dans l’ombre de la rue Saint-Nicaise, ils rencontrèrent cette bande populaire qui arrivait, mais n’y prêtèrent point attention : les Tuileries ne pouvaient être le théâtre d’aucun événement puisque la famille royale les avait quittées. La crainte de l’insurrection avait suffi, sans l’usage des armes. Le dernier acte de la Révolution allait se jouer sur la scène législative, comme s’était joué le premier, à Versailles, le 17 juin. Une impatience heureuse animait Claude. Puisque Brissot se disait sûr de réunir une majorité pour la déchéance, le dénouement du drame ne laissait pas de doute et l’effusion de sang n’était plus à redouter.
    Traversant avec Lise la « carrière », Claude ignorait qu’en ce moment même le sang coulait en larges flaques, de l’autre côté, presque devant l’entrée des Feuillants où Théroigne de Méricourt, dans sa rouge amazone des grandes journées, sabre en main, désignait aux coups de ses amis son adversaire personnel : Suleau, journaliste « noir » qui, depuis longtemps, la criblait de sarcasmes dans Les Actes des Apôtres. Elle venait de le reconnaître, parmi d’autres royalistes déguisés en gardes nationaux. C’était un compatriote de Desmoulins, un de ses anciens camarades, à lui et à Robespierre, au collège Louis-le-Grand, marié depuis peu à la jeune et très jolie fille du peintre Hall.

Weitere Kostenlose Bücher