Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
Vom Netzwerk:
à présent, jetant leurs armes dérisoires, quelques-uns blessés, tous remplis d’horreur et d’épouvante. Ils furent cueillis au passage par le feu des baraquements bordant la cour, et on leur tirait en même temps dans le dos par les fenêtres du palais.
    Margot, accourue sur le balcon de ses maîtres, voyait les malheureux tomber en pleine course, bouler, s’aplatir. Le vaste rectangle était parsemé de corps. Certains bougeaient. Ils avaient plongé afin d’échapper aux balles, ils gagnaient en rampant le pied des baraques où l’on ne pouvait plus les atteindre. Sans se rendre compte de ce qu’elle faisait, Margot tapait sur la barre du balcon en criant : « Vite ! Vite ! » comme s’ils eussent pu l’entendre, à des canonniers de la garde nationale qui, restés sur le Carrousel, ramenaient vivement leurs pièces face au portail et les mettaient en batterie contre le Château. Contraints de pointer en hauteur pour ne pas toucher ceux qu’ils voulaient défendre, ils envoyèrent leurs premiers boulets sur les toits. Avant d’avoir rectifié le tir, ils furent emportés dans la débandade générale. Tout le monde s’enfuyait, car les balles, maintenant, atteignaient la place. Les Suisses, faisant une sortie en masse, traversaient la cour en tiraillant. Ils se déployèrent sur le Carrousel, formant, avec leur précision de machine guerrière, un demi-carré qui crachait le feu par trois fronts de deux rangs. L’un d’eux rechargeait pendant que l’autre tirait. Ils criblaient de plomb la foule en fuite, par toutes les rues et ruelles, vers la rue Saint-Honoré, le Palais-Royal, le Louvre, les guichets de la grande galerie. De ce côté, une autre irruption de quelque deux cents Suisses, gardes nationaux feuillants, royalistes, sortant du pavillon de Flore par l’escalier de la Reine, venait d’être accueillie par une bordée de canons chargés à mitraille qui en avait couché par terre une bonne moitié. La centaine restante s’était emparée de ces pièces. Elle arriva au Carrousel avec elles et ses blessés au moment où le feu s’éteignait enfin. Il ne restait sur la place inondée de soleil que la phalange écarlate, les morts semés partout, des piques éparses, des bonnets moins rouges que les flaques de sang. La Cour tenait la victoire. Margot, horrifiée, incrédule, se serrait la tête à deux mains.
    Depuis une demi-heure déjà, Santerre, à l’Hôtel de ville, s’était enfin résolu à ordonner le mouvement général. Encore avait-il fallu, pour l’y décider, l’insistance de Danton et les menaces de Westermann. Aussitôt cet ordre lancé, l’Alsacien, monté sur un petit cheval noir, était parti, emmenant les fédérés bretons. Une Cordelière, la citoyenne Rose Lacombe, charmante comédienne, marchait à la tête d’un de leurs détachements, en habits d’homme, le sabre à la main. Au Pont-au-Change, le bataillon rouge trouva les Marseillais qui avaient traversé la Cité. Comme on descendait avec eux par le quai de la Ferraille, on entendit des coups de canon dans la direction des Tuileries. Westerman fit hâter le pas, mais au Pont-Neuf on perdit du temps à mettre en ordre les troupes du faubourg Saint-Marceau dont une partie débouchait par là. Il fallut un moment pour former en colonne la garde à piques, la laisser en serre-file et parvenir aux galeries du Louvre au-dessus desquelles s’étirait une fumée, rousse sur le bleu du ciel. L’air sentait la poudre. Les rescapés du massacre sortaient en courant par les guichets. Le plus grand nombre avait été chassé vers le Palais-Royal, néanmoins il s’en répandait par ici sur le quai. Ils se mêlaient aux bataillons de la garde nationale restés sur le port Saint-Nicolas, au corps principal du faubourg Saint-Marceau arrivant par le Pont-Royal. Tout cela faisait un tumultueux encombrement qui arrêta encore Westermann. Déjà on apercevait en arrière, sur le quai de la Ferraille, l’armée de Santerre avançant avec ses drapeaux, ses dix mille baïonnettes scintillantes dans la lumière. Il y en avait plus de dix mille autres sur les rives de la Seine. Gabrielle Dubon et Claudine, à leur fenêtre, voyaient la rivière comme doublée d’un ruisseau de pointes étincelantes. Ces colonnes populaires, la gendarmerie à cheval avait reçu l’ordre, sur la place du Palais-Royal et celle du Louvre, de les prendre en flanc et de les jeter à l’eau. Elle le pouvait parfaitement en poussant par

Weitere Kostenlose Bücher