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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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toutes les rues latérales. Les soldats de Santerre n’étaient pas assez aguerris pour soutenir la formidable charge de ces cavaliers d’élite. Le maréchal de Mouchy, qui commandait aux Tuileries depuis le départ du Roi, se sentait sûr de noyer le gros de l’insurrection, comme il en avait foudroyé l’avant-garde. Seulement la gendarmerie, au lieu de charger, mettait ses chapeaux au bout des sabres en criant : « Vive la nation ! » Sourds à la voix de quelques-uns de leurs officiers, les escadrons, acclamés par le peuple, par les gardes nationaux patriotes, tournaient bride et s’en allaient vers les Champs-Elysées en déclarant que s’ils combattaient ce ne serait assurément point les bons Français.
    L’horloge du pavillon marquait neuf heures dix lorsque Westermann, avec les Bretons et les Marseillais, déboucha par les guichets sur le Carrousel parsemé de cadavres. Il ne restait là que des morts. Les gens du voisinage avaient recueilli les blessés. Les vainqueurs étaient rentrés au Château, refermant sur eux le portail. La Cour royale était vide, avec ses seules jonchées de corps sanglants ; le piège, prêt à jouer de nouveau. Mais il ne s’agissait plus de soldats improvisés. Westermann, ancien brigadier, avait l’âme d’un chef, et il dirigeait des militaires. À sa voix, ils se formèrent sur deux files en tête desquelles il fit avancer, face à la porte Royale, deux canons dont la première décharge emporta les vantaux vermoulus. « En avant ! » commanda l’Alsacien. Il entra le premier. Au lieu de foncer vers le Château, il ordonna un à droite. Un côté de la colonne, se séparant de l’autre rang, fila sur les baraques. Un feu nourri partit de là aussitôt, sans causer beaucoup de ravages, car les assaillants se trouvèrent rapidement sous les murailles de bois. Le second rang, qui, lui, avait opéré un à gauche, s’élançait au pas de charge vers le pavillon de l’Horloge, ne présentant aux casemates qu’un flanc d’un seul homme, et aux tireurs du Château qu’une ligne espacée. Des Bretons, des Marseillais tombèrent néanmoins. Derrière eux Santerre et ses bataillons entraient dans la cour, criblaient de balles les baraquements, les Suisses alignés sur le perron, les fenêtres du rez-de-chaussée qui crachaient le feu. La longue façade illuminée par le soleil crépitait d’éclairs. Lazouski avait placé aux angles de la rue Saint-Nicaise, de la rue de l’Échelle et de la rue des Orties, six canons qui tiraient à boulets et à mitraille sur les fenêtres de l’étage. Le perron répondait avec les pièces enlevées à la garde nationale. Sans cesse de nouvelles troupes investissaient les cours. Le Marais, Saint-Martin, Saint-Denis, s’infiltraient par les petites rues, poussaient vers la galerie du Louvre au feu de laquelle ils répondaient en s’abritant dans les portes cochères, les recoins. Saint-Marceau tenait la cour des Princes d’où il mitraillait les fenêtres des appartements du Dauphin, le pavillon de Flore. Dans un demi-jour fuligineux, obscurci et épaissi par le soufre, au milieu du miaulement des balles, on suait, on tirait, on tombait. Pas un souffle d’air pour balayer la fumée. Elle s’accumulait, lourde, piquant les yeux, le nez, la gorge. On chantait pourtant : des bataillons qui arrivaient. Des drapeaux surgissaient, fantômes blancs et tricolores. À travers les plaintes des blessés, la canonnade et la mousqueterie, on entendait des tambours, des fragments de la Marseillaise ou du Ça ira lancés à pleines gorges.
    Soudain, il y eut comme une chaîne d’explosions, des cris plus perçants. Des reflets d’incendie teignirent la pénombre mouvante. Les Marseillais, pour en finir avec les casemates, venaient d’y jeter, par les meurtrières, des gargousses d’artillerie. Toute la ligne de baraques, au bois desséché par cet été torride, flambait avec leurs tireurs royalistes. Au même instant, Lazouski et Fournier l’Américain, atteignant le porche avec du canon, obligeaient les Suisses à battre en retraite dans le vestibule. Westermann, Santerre et leurs hommes suivirent. La montagne de patriotes qu’ils virent là, dans la grande lumière venant du jardin, morts, entassés, les murs éclaboussés de sang, les dalles, le pied des colonnes gluants encore, les soulevèrent d’horreur et d’une nouvelle colère. Les premiers rangs foncèrent, à la baïonnette. Ils furent décimés à bout

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