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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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Camille lui avait offert un asile dont il n’avait pas voulu. À présent, il était mort avec ses compagnons. On coupait leurs têtes, on les promenait dans la rue Saint-Honoré, à bout de piques, en les penchant de droite et de gauche pour faire baiser aux passants ces horreurs sanguinolentes, tandis qu’une espèce de patrouille aux armes ensanglantées cognait du sabre les vitres en ordonnant : « Fermez vos boutiques ! » En un instant elles furent closes et la rue déserte.
    Sur le Carrousel, la bande à Guillot avait perdu son élan. Le départ du Roi la laissait décontenancée devant la vieille clôture. Il n’y avait plus rien à faire ici. « Allons au Manège », crièrent quelques voix. La plupart des badauds y couraient. Brusquement, le portail s’ouvrit sous son cintre, et l’on vit le concierge qui s’enfuyait à toutes jambes. Les royalistes lui avaient donné l’ordre de lever les barres. Les vantaux demeuraient entrebâillés. On hasarda de les pousser. Rien ne se produisit. La Cour royale, en pleine lumière, était vide jusqu’au perron. Un gamin d’abord puis quelques hommes s’y risquèrent, curieux, attirés par ce vaste espace, par ce palais dont personne ne semblait plus vouloir interdire l’entrée au peuple. Toute la bande enfin pénétra dans la cour, joyeusement. On avait vaincu sans combattre, on était maître de ces Tuileries redoutées. Dans un mouvement d’enthousiasme, avec des vivats, les patriotes atteignirent le perron, franchirent les degrés en se bousculant pour s’engouffrer sous le large porche ouvert des deux côtés, sur la cour, sur le jardin dont on voyait les pelouses, très vertes au soleil. Mais on vit autre chose aussi : la masse rouge des Suisses, et l’élan s’arrêta court.
    Les Suisses avaient repris leur position de la nuit, sur le grand escalier montant à la chapelle où il se séparait en deux révolutions. La crosse à l’épaule, ils étageaient de degré en degré leurs centaines de fusils prêts à balayer d’un ouragan de plomb le vestibule. Trois pas à peine séparaient les sans-culottes de cette formidable barrière hérissée de baïonnettes au premier rang. Les cris joyeux étaient tombés, coupés non moins net que la ruée. Il y eut un moment de silence, de suspension haletante, tandis qu’une foule de gens, dont beaucoup de curieux, qui voulaient entrer, poussaient par-derrière, sur le perron. Dans le vaste vestibule, entre ses colonnes de marbre, on se regardait de part et d’autre. Puis des rires, des lazzi fusèrent parmi le peuple. Que s’imaginaient-ils, ces Alcides ? Qu’on allait assaillir leur terrible phalange, avec même pas vingt fusils, des piques, des lardoires ! On n’était pas fou, quand même ! On se mit à les brocarder, non sans sympathie, car on savait, par les gens du Carrousel, que plusieurs Vaudois tout à l’heure, avaient fraternisé avec les canonniers de la garde nationale et quitté la cour avec eux. Pourquoi se battraient-ils, du reste ? Ils n’avaient plus personne à défendre. Tout en gouaillant, on les exhortait à imiter leurs camarades. Guillot le rouquin, avec le croc de sa hallebarde, s’était avisé de harponner un Suisse par son ceinturon. « Allons, viens avec nous, toi, mon ami, disait-il en l’attirant. Viens donc, nous sommes bonnes gens. » D’autres sans-culottes imitèrent Guillot. Les Suisses, qui n’avaient pas l’ordre de tirer, se laissaient faire. Cinq furent péchés ainsi, au milieu des rires plus excités. De nouveaux hameçons se tendaient pour ce jeu insidieux, quelque peu brutal, où déjà on ne crochait plus seulement dans les ceinturons, lorsqu’un commandement retentit en haut des marches, suivi aussitôt d’un autre et d’un troisième, et la foudre éclata dans le vestibule. Une explosion qui fit sauter des vitres. Sept cents jets de feu. Un vomissement de fumée poivrée. Des cris, des râles. Presque à bout portant, la grêle de plomb s’était enfoncée en plongeant dans la masse humaine resserrée entre les murs. Pas une balle perdue. Les corps fauchés s’abattaient les uns sur les autres dans un ruissellement de sang. Sous les volutes fumeuses que le courant d’air du porche faisait rouler, c’était un effondrement lent comme l’écroulement d’une meule de paille, et déjà muet tandis que sur le perron, dans la cour, s’élevaient les clameurs terrifiées de ceux qui n’avaient pas pu avancer davantage. Ils fuyaient

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