Les autels de la peur
Force dont la jeune fille s’éloignait de plus en plus. Les commis ouvraient leurs boutiques, les passants ne lui prêtaient aucune attention. Il lui semblait pourtant qu’avec son allure hésitante et son accoutrement bizarre elle attirait tous les regards. Elle parvint à la petite place, puis à la fontaine. Enfin, dans la grande rue indiquée, elle découvrit le fiacre près duquel elle se retira dans l’allée, fort sombre, effectivement, et elle attendit. M. Hardy ne paraissait pas. Recrue de fatigue et d’alarmes, Pauline cédait à une panique ; si elle restait trop longtemps dans cette allée, elle se rendrait suspecte. Elle se voyait déjà saisie, quand elle aperçut son sauveur arrivant avec un compagnon en habit brun. Elle reconnut aussitôt cet homme, à ses traits, à sa petite perruque d’un roux ardent, et elle eut très peur. Hardy la rassura d’un regard. « Tout va bien », dit-il en la faisant monter dans le fiacre. Leur compagnon s’installa en face d’elle et lui demanda si elle le remettait. « Parfaitement, répondit-elle. Vous êtes monsieur Billaud-Varenne. C’est vous qui m’avez interrogée à l’Hôtel de ville quand on nous a emmenées du Temple.
— Il est vrai. Soyez sans crainte, vous vous trouvez sous la protection de Danton. Nous allons chez lui.
— Et ma mère ?
— Ne vous inquiétez pas pour elle non plus, elle ne court aucun risque. »
Une fois sur la place des Piques, les deux hommes laissèrent Pauline dans le fiacre et entrèrent à la Chancellerie. Ils revinrent bientôt. « Vous voilà définitivement sauvée, annonça Billaud-Varenne. Ma foi, nous sommes bien aises que cela soit terminé. Hardy va vous conduire où il vous plaira, mais il faut un endroit où vous ne soyez pas connue, autrement vous seriez encore en danger.
— Je pourrais aller chez la marquise de Lède. C’est une de mes parentes, très âgée. Ce grand âge éloignera les soupçons.
— Non point, dit Billaud-Varenne. Il y a bien trop de domestiques dans une pareille maison, ils ne garderaient pas le secret de votre arrivée. »
Alors Pauline donna l’adresse d’une servante qui l’avait élevée et dont le dévouement était sûr. Elle habitait rue du Sépulcre. Ce nom, associé aux événements, sembla produire une sinistre impression sur Billaud-Varenne. Il dit quelque chose tout bas à Hardy et s’en alla brusquement. En roulant avec son protecteur, la jeune fille, après lui avoir exprimé toute sa reconnaissance, s’inquiéta de nouveau de sa mère. « Il serait affreux, monsieur, qu’elle fût exposée à la mort dont vous m’avez sauvée.
— Cela, répondit-il, a exigé beaucoup de temps. Je n’ai pu m’occuper de votre mère. D’ailleurs, il faut qu’elle passe par le tribunal, sans quoi elle ne trouverait aucune sûreté, mais les juges ont le mot pour la mettre en liberté sous sauvegarde, elle et M me de Lamballe. Elles n’ont rien fait contre la nation et il ne leur sera rien fait. Je n’en vais pas moins, dès que vous serez à l’abri, retourner à La Force pour veiller sur elles. »
Après l’enlèvement de sa fille, M me de Tourzel, infiniment plus inquiète qu’elle ne voulait le montrer, n’avait pas dormi. Au jour, quand on apporta dans la chambre le déjeuner des prisonnières, elle essaya de savoir ce qui se passait, mais n’apprit rien sinon que toutes les personnes détenues auraient à comparaître devant les commissaires du peuple. Elle soupçonna dès lors la raison pour laquelle on avait enlevé Pauline : on voulait la sauver. Quant à elle-même et à M me de Lamballe, elles ne pouvaient se bercer d’illusions. La princesse le comprenait trop bien. Minée par l’emprisonnement, par le chagrin où la plongeaient les malheurs de la famille royale, elle perdait tout empire sur ses nerfs. Elle accablait de lamentations et de conjectures effrayantes sa compagne qui avait peine à se défendre contre la contagion de cette peur. Aussi fut-ce un soulagement lorsque, vers dix heures, on vint les chercher pour les faire descendre dans la cour. Terrifiée, M me de Lamballe s’y refusa en se déclarant malade. Elle l’était, effectivement, d’effroi.
Dans la petite cour où le soleil n’éclairait encore qu’un pan du mur, la ci-devant gouvernante des enfants de France vit plusieurs autres prisonnières mélangées à une affluence de gens mal vêtus auxquels elle trouva une mine féroce. Certains lui
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