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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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volontaires, occuper à moins d’une demi-lieue de la ville une éminence appelée Goidsenhoven. « Vous conserverez cette position jusqu’à nouvel ordre, spécifia-t-il. L’ennemi vous attaquera, vous résisterez absolument. » De cette large butte, on dominait la plaine allongée entre une ligne de médiocres collines derrière lesquelles Saint-Trond se cachait à plus de deux lieues dans l’est, et une rivière portant sur la carte le nom de Grande Geete. Sortant de Tirlemont, elle sinuait vers le nord-est, miroitante, bordée de peupliers encore nus, de saules couverts de chatons. Le vert frais des pâturages, des champs, tranchait avec celui, plus bleu, des houblonnières. Quelques villages rassemblaient çà et là autour d’un clocher leurs maisons pareilles à des volailles groupées aux pieds d’une fermière distribuant la provende. Et tout ce spectacle, sous un grand ciel où des nuages voguaient lentement dans le bleu, ne donnait aucune envie de se battre, aucune envie de tuer, de mourir.
    Les habitants du hameau construit sur la butte n’avaient non plus aucune envie d’abandonner leurs pauvres biens. Les Autrichiens ayant négligé cette position, ces gens avaient pu rester là. Il fallait cependant, pour leur sécurité, les faire partir. Le cœur serré, Bernard en donna l’ordre. Tandis que l’on disposait les petits canons d’infanterie, une triste caravane de chariots et de charrettes, de bestiaux après lesquels aboyaient les chiens, se mit à descendre et à s’étirer sur les chemins, dans la plaine. Nulle part, il n’y avait d’ennemi en vue. Bernard, assisté d’un capitaine d’état-major et d’un sous-lieutenant, s’installa dans une ferme où il réunit les chefs de bataillon. Il leur indiqua sur la carte le dispositif et les emplacements à prendre. Les Autrichiens ne pourraient arriver que par l’est. On se couvrirait là fortement au moyen de grand-gardes qui se replieraient, au premier contact, sur des compagnies formées en tirailleurs avec des canons dans les intervalles. Le principal de l’artillerie devrait être massé sur les flancs pour empêcher toute attaque latérale. À l’arrière, rien à craindre, bien entendu ; on était couvert par le gros de l’armée qui échelonnait des postes. « Dispersez vos hommes, ajouta Bernard, abritez-les. Que les compagnies de première ligne reçoivent l’attaque par des feux de salve, et que les secondes lignes couvrent aussitôt les premières par des feux roulants. » Une fois toutes les dispositions prises, il inspecta les troupes sur leurs emplacements. Après quoi il envoya le sous-lieutenant rendre compte à Dumouriez. On attendit. Le ciel tournait au vert pâle et au rose. On soupa. La nuit vint. Les hommes qui n’étaient pas aux postes ou en sentinelles dormirent dans les granges, Bernard sur une paillasse, les bottes aux pieds, n’ayant dépouillé que son habit, le vieux : celui de campagne, dont il avait fait remplacer sur les revers les galons d’argent par des broderies d’or.
    À l’aube, dans la brume, les premiers coups de feu éclatèrent, assourdis. Ce ne fut au début qu’une fusillade d’avant-postes et d’avant-garde, puis l’attaque prit une certaine ampleur. Cobourg n’entendait pas laisser aux Français cette position dominante. Le brouillard dissipé, Bernard, sur l’éperon de la butte, avec ses officiers, put voir les uniformes gris monter à l’assaut en trois fortes colonnes de bataillons, grenadiers en tête, coiffés du bonnet pointu à haute plaque de cuivre. Ils perdaient du monde sans guère avancer sur ces légères pentes coupées de buissons, de sentiers, de murettes d’où partait un feu continu, craquant. À pied, le sabre au fourreau, Bernard observait froidement d’en haut le combat. Il ne se souciait plus du paysage étalé dans une tendre lumière, ni de sentiments. Observant à la lunette les arrières ennemis, il aperçut des estafettes galopant dans la direction des collines derrière lesquelles se cachait Saint-Trond.
    « Lieutenant, que le citoyen Boiledieu fasse avancer en tirailleurs deux des compagnies de réserve. Qu’elles dirigent des feux de salve par pelotons sur les têtes de colonnes. »
    Le jeune officier sauta en selle et partit. Un instant plus tard, deux groupes de voltigeurs, le rouge plumet de coq au chapeau, apparurent dans le chemin descendant du village et, entraînés par leurs officiers, coururent aussitôt en se dispersant.

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