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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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l’énorme église dominant Tirlemont de sa tour qui avait dû voir, depuis cinq ou six siècles, bien des invasions. Sage attendait, tenant les chevaux en main. Le jour était gris, encore, embrumé. À cette heure, estimait Bernard, on aurait dû passer la Petite Geete en profitant de la brume. Dumouriez avait sans doute ses raisons, bien qu’il ne les vît pas, lui. Par les rues bossues, grouillantes d’uniformes, retentissantes des échos du tambour et des trompettes, les deux cavaliers gagnèrent le quartier général établi dans une sorte de château, près du pont, à la limite de la bourgade et de la campagne. Les six mille hommes de la réserve se formaient là. Égalité, Miranda, Valence, avec leurs états-majors, avaient rejoint leurs corps d’armée aux bivouacs. Dumouriez déjeunait avec son ancien domestique, Baptiste – qui portait depuis Jemmapes l’épaulette d’officier – l’adjudant-général Thouvenot et les officiers d’ordonnance. Il invita Bernard, en lui disant que l’on n’aurait probablement pas l’occasion de se mettre quelque chose sous la dent d’ici à la nuit.
    Il n’était pas loin de la demie après sept heures quand on monta à cheval. On contourna la butte de Goidsenhoven où se voyaient encore les traces du combat. Peu après, on arrivait aux abords de la Petite Geete. Pendant une heure, Dumouriez parcourut le front. Partout les troupes l’acclamèrent, enthousiastes, pleines d’ardeur. De l’autre côté de la rivière, sur les collines abruptes, l’ennemi ne se montrait pas, ne tirait pas, bien que l’on fût à portée de canon. Avait-il rétrogradé, une fois éteints ses feux de camp ? Attendait-il que l’on vînt l’attaquer dans son fort, sur les chapelets de Saint-Trond ? Bernard ne pouvait se défendre d’une impression déplaisante. Ces pentes escarpées, couronnées en outre par des mouvements de terrain sur lesquels s’accrochaient les villages, lui semblaient peu propices à une bataille offensive. Il ne l’aurait pas livrée, lui. Il aurait abandonné Tirlemont à Cobourg, il l’aurait laissé, en le harcelant sans répit, s’engager dans la plaine brabançonne. Il l’aurait attendu sur les collines de Louvain et les premiers contreforts du vaste plateau de Bruxelles. Évidemment, il n’était qu’un guerrier d’occasion. Dumouriez avait du génie, – et il lui fallait non pas une suite de petites opérations sans éclat, mais la gloire d’une grande bataille, pour assurer, avec son prestige, ses desseins politiques.
    Un peu avant neuf heures, on revint au centre, devant le village d’Esemaël. On changea les chevaux fatigués par cette course au long du front. Le petit homme maigre, droit, cambré sur sa selle, donna l’ordre général d’avancer. Louis-Philippe Égalité, dans son uniforme vert épinard à revers roses, avait établi son corps d’armée en deux colonnes d’une division chacune. Elles passèrent successivement le pont avec les deux brigades de réserve pendant que les troupes de Valence, toutes proches, franchissaient celui de Neer-Heylissem. Loin sur la gauche, le canon se mit à gronder. C’était Miranda qui, à l’heure prescrite, attaquait Leaw. Ici, aucune réaction de l’ennemi. Les pentes parsemées d’arbres, de buissons, de bosses broussailleuses, baignaient à contre-jour dans une demi-ombre bleuâtre ; le soleil touchait les crêtes seules. Les deux divisions aux ordres du jeune Égalité – celle de Dampierre à gauche –, s’ébranlèrent ensemble. Laissant derrière elles la réserve, elles commencèrent de gravir le terrain. Alors Dumouriez se porta, avec son état-major, entre le centre et la droite dont peu de distance séparait les flancs, tandis que la dernière colonne de Valence, s’écartant dans la direction de Landen, disparaissait à la vue.
    Brusquement, la fusillade éclata, tout de suite nourrie, violente. Tous les replis du sol, toutes les lèvres des vallonnements se bordaient de fumée noire criblée par les lueurs des coups. Les tambours français battirent vigoureusement. Entraînés par leurs généraux, les soldats s’élancèrent, courant, tirant. À droite et à gauche, malgré le feu meurtrier, les colonnes avançaient régulièrement, laissant derrière elles des blessés et des morts. Elles débouchèrent enfin sur le plat. Les canons se mirent de la partie, la fumée devint plus épaisse, masquant par endroits l’action qui se fragmentait en combats de

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