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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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plus question de politique, ni de ménager des vies humaines à présent que l’on se trouvait en pleine boucherie. Il brandit son sabre, et, avec le jeune Égalité remontant une troisième fois à l’assaut, il entraîna les hommes sous la mitraille. Il ne s’agissait pas non plus de stratégie, mais seulement de foncer au milieu des sifflements du plomb, dans la fumée grisante, de hurler des exhortations, de frapper tout ce que l’on avait devant soi.
    Pêle-mêle, volontaires et soldats de ligne, chasseurs, fusiliers, grenadiers, voltigeurs, rentrèrent dans le village, enragés, tombant par dizaines, mais soulevés d’un élan furieux. Ils parvinrent aux canons qui les criblaient, clouèrent dessus les servants ou les assommèrent à coups de crosse. Bernard, démonté, son cheval tué, avait rengainé son sabre pour se servir d’un fusil comme d’une massue. Arrivé des premiers aux pièces, il en fit tourner deux contre les Autrichiens reculant pied à pied et les balaya. Pendant ce temps, Thouvenot, envoyé avec le reste de la réserve, avait repris la butte de Middelwinden. Le feu cessa au centre. Le village regorgeait de cadavres d’hommes et de chevaux. On marchait sur les morts, on pataugeait dans le sang dont l’écœurante fadeur remplaçait déjà l’odeur de la poudre. Jamais encore Bernard n’avait vu pareille tuerie, le cœur lui en montait à la gorge. Cependant la situation semblait rétablie, au moins de ce côté.
    Dumouriez fit évacuer cet abattoir qui ne pouvait plus servir à personne. Il rassembla devant les villages toutes les troupes du centre en une masse de dix mille hommes, fortement pourvue d’artillerie et soutenue à droite par Valence, repoussé jusqu’ici après son échec à Racour. Il était maintenant quatre heures, le jour ne laissait plus beaucoup de temps aux Autrichiens pour une nouvelle action offensive. Ils la tentèrent néanmoins quelques instants plus tard. On vit déboucher à la fois deux divisions de cavalerie, l’une descendant de Saint-Trond, l’autre montant de Landen. Elles avançaient au trot, pareilles à deux flèches convergentes, et elles étincelaient dans les rayons obliques du soleil. Chacune se déploya sur trois rangs, allongeant le trot. Déjà Valence s’élançait sur la plus proche, celle de droite, avec toute la cavalerie du corps d’armée. Quant à celle de gauche, Thouvenot donnait des ordres pour la recevoir. Lorsque, à portée de tir, elle prit le galop pour charger, une formidable volée de canon la désarticula. Une seconde, tirée à bout portant par les pièces en réserve, la cribla comme la grêle hache et couche un champ de blé. Des morceaux de chevaux et d’hommes volèrent. Bernard, commandant : « Feu ! » à l’infanterie, fut arrosé d’une pluie de sang. Les balles achevèrent l’hécatombe. De toute la division étincelante, il ne resta pas plus de cinquante cavaliers, qui s’enfuirent. Valence avait repoussé l’autre. Ses officiers le ramenèrent couvert de blessures. Il fallut le faire transporter à Tirlemont.
    Le feu s’était éteint partout. Les munitionnaires distribuèrent les vivres. Sage nettoyait l’habit de Bernard. Les officiers rendaient compte de leurs pertes, fort lourdes, mais on en avait infligé de sévères aussi aux Impériaux, et l’on restait maître du champ de bataille. On allait y bivouaquer victorieusement. Demain, on reprendrait la manœuvre en direction de Saint-Trond. Miranda, qui avait eu la tâche la plus facile, devait tenir Leaw puisqu’on n’entendait plus son canon, depuis le début de la relevée. Mais pourquoi n’envoyait-il aucun rapport ? Pas un de ses officiers n’était venu rendre compte. Pas un ne venait, et, tandis que dans le soir tombant les feux de bivouac commençaient de scintiller à droite, au centre, les hauteurs de gauche demeuraient obscures.
    Laissant à Thouvenot le soin de l’armée, emmenant Bernard – car cela le concernait au premier chef, les troupes de Miranda étant composées surtout de volontaires – et un officier d’ordonnance, Dumouriez les entraîna au grand galop, sans se soucier de sécurité. Pour escorte, il y avait simplement le fidèle Baptiste avec le non moins fidèle Sage. On aurait dû tomber tout de suite sur la division Dampierre, pourtant on ne trouvait que le vide et le silence de la campagne ou des bois, avec, çà et là, par places, des cadavres. Ils devinrent plus nombreux aux abords d’un tout

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