Les autels de la peur
régiments, de bataillons, en petites attaques de cavalerie. La masse du centre progressait toujours directement sur deux villages voisins : Neerwinden et Overwinden, aux flancs d’une éminence : Middel-winden, d’où partait un feu soutenu. Une colonne, de Valence sans doute, l’enleva d’assaut. Une autre s’empara de Neerwinden. Baptiste, envoyé aux renseignements sur la droite, revint en annonçant que les deux divisions extrêmes de Valence avaient chassé les Autrichiens du hameau de Racour et s’avançaient dans la plaine, vers Landen. Des officiers d’ordonnance rapportaient également les meilleures nouvelles : Overwinden était pris, deux colonnes tenaient Neerwinden. L’ennemi, repoussé de partout, se retirait devant les divisions qui le pourchassaient. La manœuvre se déroulait donc exactement de la façon prévue. En deux heures, le plus rude avait été fait. Restait simplement à se rabattre sur Saint-Trond. Bernard dut s’avouer que Dumouriez avait eu probablement raison de livrer la bataille. On touchait au but.
Le général en chef emmena son état-major en direction de Landen, pour surveiller l’exécution du mouvement tournant. Il était un peu plus de onze heures. Quelques nuages, masquant en partie le soleil, promenaient de grandes îles d’ombre dans la plaine. Au nord, le canon de Miranda tonnait encore par intervalles. Ici, on n’entendait plus que des fusillades dispersées. On emboucha au trot un chemin entre des murettes, tout semblable à celui qui, à Thias, montait de l’étang, mais au lieu de bouses il y avait par places des flaques de sang et quelques cadavres de Tyroliens en uniforme gris. « Racour est là, sur le côté », dit Baptiste, conduisant la petite cavalcade. Il achevait à peine que la mousqueterie reprit, toute proche, avec une grande violence. Des tambourins hongrois, au son reconnaissable, battaient la charge. Des balles perdues bourdonnèrent par-dessus les murettes, faisant voler des branches. Dans le chemin encaissé, on ne voyait rien, on entendait des cris. Dumouriez s’était lancé au galop, impatient de découvrir ce qui se passait. Derrière lui, Bernard, Thouvenot, les officiers couraient à deux de front dans ce boyau jusqu’au bout duquel il fallait aller pour apercevoir quelque chose. On s’éloignait du combat. Enfin, après quelques exaspérantes minutes, on déboucha en arrière d’une division hongroise qui était bel et bien en train d’emporter le village. De ce côté-ci, pas une troupe française pour secourir les bataillons engagés. Dumouriez, Thouvenot, Bernard firent escalader à leurs chevaux un petit tertre. Des bonnets à plaque étincelante montaient en masse des prés, dans un hérissement de baïonnettes, et nulle part on ne voyait arriver le moindre bleu-blanc-rouge. De toute évidence, la colonne poussant vers Landen avait été arrêtée par des renforts autrichiens, refoulée dans Racour où elle ne pouvait pas tenir devant ce retour en force.
« Général ! s’écria Thouvenot. Il faut partir ! »
La seconde masse qui montait allait être à portée de fusil. Avec une folle témérité, Dumouriez piqua dans le champ vide entre les deux divisions. Des balles saluèrent vainement le peloton d’uniformes bleus, filant à toute bride. On contourna Racour en piquant droit sur le centre. L’intention du général était évidemment de rejoindre Égalité pour envoyer la réserve soutenir l’aile en difficulté. En approchant, on s’aperçut que les choses allaient plus mal encore par ici. De toutes parts, débouchaient des colonnes blanches et bleu pâle ou grises. Il fallut faire à plusieurs reprises des crochets pour ne point tomber entre leurs mains. Au sortir d’un bois, on essuya une fusillade qui renversa de son cheval un des officiers d’ordonnance, blessé ou tué. Les Autrichiens attaquaient partout avec des effectifs très supérieurs. Ils avaient repris Overwinden, la position élevée de Middelwinden d’où ils faisaient pleuvoir un feu infernal d’artillerie. Égalité venait de les chasser pour la seconde fois de Neerwinden en appelant une partie de la réserve, mais, à l’instant même, il devait à son tour abandonner le village pour la deuxième fois, après avoir perdu son meilleur lieutenant : le général Desforest.
« Delmay, allez-y », ordonna Dumouriez.
Bernard, éperonnant sa monture, courut prendre en main la troupe sans chef. Il fallait vaincre. Il n’était
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