Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
n’étais pas ce que tu es.
Oui, j’étais chassé. Tu résistais à mon entêtement hasardeux. J’imaginais les formes des corps.
Chair, j’accusais la chair.
Souffle ambulant, je ne revenais pas vers toi, et en déambulant je
déambulais parmi des choses sans existence ni en toi ni en moi ni dansdes corps, et que je n’avais pas créées de ta vérité mais que ma vanité
avait inventées à partir des corps.
Je disais à tes petits enfants, tes fidèles, mes concitoyens, parmi lesquels sans le savoir j’étais en exil, je leur disais, inepte bavard : pourquoi l’âme est-elle errante si c’est Dieu qui l’a faite ? Et je ne voulais
pas qu’on me demande : pourquoi Dieu erre-t-il ? Je prétendais que ta
substance immuable était forcée à errer plutôt que d’avouer que la
mienne, mouvante, avait volontairement dévié, condamnée à errer.
27.
J’avais peut-être vingt-six ou vingt-sept ans quand j’ai écrit ce rouleau. Je me déroulais les images des corps qui retentissaient aux
oreilles de mon cœur. Oreilles que je tendais, vérité très douce, vers ta
mélodie intérieure, en réfléchissant au beau et à la cohérence. Mon
seul désir c’était d’être debout à t’écouter, me réjouir de joie à la voix
du fiancé. Mais j’en étais incapable ! Les voix de mon erreur m’emportaient dehors et je tombais dans l’abîme entraîné par le poids de ma
prétention. Non, tu ne m’as pas donné d’entendre la joie et la gaieté.
Les os n’exultaient pas parce qu’ils n’avaient toujours pas été humiliés.
28.
À quoi me servait, à vingt ans environ, d’avoir eu entre les mains un
certain traité d’Aristote qu’on appelle les Dix Catégories ? À la seule
évocation de ces mots, le rhéteur de Carthage, mon maître d’éloquence, et d’autres qui passaient pour savants, tordaient leur bouche
de suffisance, et je restais suspendu, bouche bée, comme si j’étais
devant un je ne sais quoi de grandiose et divin. À quoi me servait
d’avoir lu et compris cela tout seul ? Ceux avec qui j’en ai discuté, et
qui me disaient avoir eu du mal à comprendre malgré des maîtres très
érudits qui accompagnaient leurs discours de nombreux dessins sur le
sable, n’ont rien pu m’en dire d’autre que ce que j’en avais compris
tout seul par ma lecture personnelle.
L’ouvrage, m’a-t-il semblé, parlait assez clairement des substances,
l’homme, par exemple, et de ce qu’on trouve en elles, la figure de
l’homme par exemple, à quoi il ressemble, sa taille, combien de piedsmesure-t-il, sa parenté, de qui est-il le frère, où s’est-il établi, où est-il
né, s’il est debout ou assis, chaussé ou armé, ce qu’il fait, ce qu’il subit,
et tout ce qui dans les neuf genres cités en exemple, ou dans le genre
même de la substance, peut se trouver à l’infini.
29.
À quoi cela me servait, alors que cela m’était nuisible, et que toi, mon
Dieu, tu es étonnamment simple et immuable ? Je pensais que les dix
prédicaments comprenaient la totalité des étants, et je tentais de te
comprendre comme si tu étais le propre sujet de ta grandeur et de ta
beauté, comme si elles étaient en toi comme dans un sujet, dans un
corps par exemple, alors que tu es toi-même ta propre grandeur et ta
beauté, et qu’un corps n’est ni grand ni beau du fait qu’il est un corps.
Moins grand et moins beau, il n’en serait pas moins un corps ! Ce que
je pensais de toi était faux. Ce n’était pas la vérité mais une fiction de
mon malheur, et non la confirmation de ta béatitude. Mais c’est ce
que tu as prévu, oui. Et c’est ce qui m’arrivait : la terre enfanterait
pour moi des épines et des chardons. Avec douleur, je gagnerais mon
pain.
30.
Et à quoi cela me servait d’avoir, autant que j’ai pu, lu et compris par
moi-même tous ces livres des arts dits libéraux 2 , alors que j’étais
l’impuissant esclave de mauvaises envies ? Je m’en réjouissais et je ne
savais pas d’où venait tout ce qu’il y avait là de vrai et de certain. J’avais
la lumière dans le dos et le visage tourné vers les choses illuminées : de
telle sorte que mon propre visage qui distinguait ce qui était éclairé
n’était pas lui-même éclairé.
Tout ce qui touche à l’art de l’éloquence et de la dialectique, tout ce
qui touche aux dimensions des figures, la musique, les nombres, je l’ai
compris sans grande difficulté et sans aucun enseignement humain,
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