Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
sa
croix des haines que j’avais contractées envers toi par mes crimes. Comment aurait-il pu m’en délivrer avec ce fantôme de croix, fantôme en
qui je croyais ? La mort de son corps me paraissait aussi fausse que la
mort de mon âme était réelle. Et la mort de son corps était aussi réelle
que la vie de mon âme, qui n’y croyait pas, était fausse.
La fièvre s’aggravait. Je passais. Je trépassais. Je disparaissais. Pour
aller où ? Dans le brasier et les supplices que méritaient mes actions,
selon ta vérité rigoureuse. Ma mère n’en savait rien. Dans l’absence, elle
priait pour moi. Toi qui es partout présence, tu l’as exaucée. Là où
j’étais, tu as eu pitié de moi. Et mon corps a retrouvé la santé même si
mon cœur était toujours ce fou sacrilège. Au milieu de tant de dangers,
je ne voulais pas de ton baptême. Enfant, j’étais meilleur en le réclamant
au fidèle amour maternel, comme je l’ai déjà rappelé et avoué. J’avais
grandi, mais dans ma lâcheté, j’étais un fou qui ridiculisait les ordonnances de ta médecine. Tu ne m’as pourtant pas laissé mourir deux fois.
Cette blessure mortelle aurait frappé le cœur de ma mère, et il n’aurait
jamais pu en guérir. Non, je n’ai pas assez dit quelle place j’occupais
dans son cœur. Ni qu’elle s’inquiétait beaucoup plus pour l’accouchement de mon âme qu’elle ne l’avait fait pour la naissance de mon corps.
17.
Je ne vois pas comment elle aurait pu guérir si ma mort dans ces conditions avait transpercé les entrailles de son amour. Tant de prières précipitées, ininterrompues. Pour aller où ? Vers toi ou nulle part. Mais toi, Dieu
de compassion, tu aurais repoussé le cœur broyé et abattu d’une veuve
chaste et réservée, toujours charitable, qui se pliait aux désirs de tes
saints, ne laissait pas un jour passer sans apporter ses offrandes à ton
autel, et deux fois par jour, matin et soir, se rendait toute affaire cessante
à ton assemblée, non pour écouter des fables vides ou des ragots de
vieilles mais pour tes paroles… Et pour que toi, tu écoutes ses prières. Ses
larmes ne demandaient pas de l’or ou de l’argent, rien de précaire ou de
volatil, mais la délivrance de l’âme de son fils. Et toi, de qui elle tenait ce
qu’elle était, tu l’aurais méprisée et rejetée sans lui venir en aide ? Certainement pas, Seigneur. Oui, tu étais bien là et tu as tout entendu. Tu as agi
comme tu l’avais décidé et prévu. Impossible que tu la déçoives par tes
visions et tes réponses – celles dont j’ai déjà fait mémoire et les autres.
Elle les gardait dans la confiance de son cœur, et te les ressortait toujours
dans ses prières comme s’il s’agissait d’écrits de ta main.
Ton amour est pour toujours. Par tes promesses, tu acceptes d’être
encore le débiteur de ceux dont tu effaces toutes les dettes.
18.
Tu m’as tiré de cette maladie. Tu as sauvé, physiquement, le fils de ta
servante – le même à qui tu donnerais un jour une santé meilleure et
robuste.
À Rome, en ce temps-là, j’étais toujours lié à ces saints personnages,
tout à la fois faux et faussaires. Je faisais partie de leurs auditeurs, et il y
avait parmi eux celui chez qui j’étais tombé malade et m’étais rétabli. Je
côtoyais aussi ceux qu’ils appellent leurs élus.
Pour moi, nous n’étions pas les acteurs du mal. Mais je ne sais quelle
autre nature en nous se livrait au mal. Ma prétention était comblée : j’étais
extérieur à la faute. Si je commettais quelque chose de mal, je n’avouais
pas l’avoir fait – tu aurais alors guéri mon âme puisque je t’avais fait du
tort. J’aimais simplement m’excuser et accuser je ne sais quoi d’autre qui
était avec moi sans être moi. Il n’y avait évidemment qu’un seul moi mais
devenu adversaire de moi-même, parce que mon infidélité m’avait divisé.
Faute inguérissable : je ne m’imaginais pas responsable du mal. Et crime
abominable : je préférais que toi, Dieu tout-puissant, tu sois vaincu en moi
pour ma perte plutôt que moi l’être par toi pour ma libération.
Tu n’avais toujours pas mis de sentinelle à ma bouche ni gardé la
porte de mes lèvres pour que mon cœur ne verse pas dans les paroles
du mal ni ne cherche des excuses aux fautes commises avec des criminels. Voilà pourquoi j’étais en compagnie de leurs élus. Tout en désespérant déjà de ne pouvoir aller plus loin dans
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