Les Bandits
(Bengale)
au début du XIX e siècle – se produit donc au cours
de la morte-saison ; ou alors il est pratiqué par des détachements
spéciaux qui laissent derrière eux suffisamment de gens pour assurer les
travaux agricoles.) Si l’on veut comprendre la composition sociale du
banditisme, il faut donc examiner tout d’abord la frange mobile de la société paysanne.
La première source de recrutement, et probablement la plus
importante, se trouve dans les formes d’économie ou de milieux ruraux où la
demande de main-d’œuvre est relativement faible, ou qui sont trop pauvres pour
employer tous leurs hommes valides ; en d’autres termes, là où il y a un
surplus de population rurale. Les économies pastorales, les régions
montagneuses et les sols pauvres – les trois étant fréquemment liés – fournissent
en permanence ce genre de surplus, dont les débouchés, dans les sociétés
traditionnelles, ont tendance à s’institutionnaliser : émigration
saisonnière (dans les Alpes ou, en Algérie, dans les monts de Kabylie), engagement
dans l’armée (Suisse, Albanie, Corse et Népal), pillage ou banditisme. Le « minifundisme »
(c’est-à-dire une forte proportion de terres trop petites pour la subsistance d’une
famille) peut produire les mêmes effets, ainsi que le manque de terres, pour
des raisons encore plus évidentes. Le prolétariat rural, en chômage pendant une
grande partie de l’année, est autrement mobilisable que le paysan. Sur les 328 « brigands »
(ou plutôt rebelles et guérilleros paysans) dont les cas furent examinés en
1863 par la cour d’appel de Catanzaro (Calabre, Italie), 201 furent classés
comme ouvriers agricoles ou journaliers, 51 seulement comme paysans, 4 comme
fermiers, et 24 comme artisans [41] .
Il est évident que, dans ce genre de milieu il y a non seulement beaucoup d’hommes
qui peuvent, tout au moins pendant un certain temps, se couper de l’économie
rurale, mais beaucoup qui sont
obligés
de chercher d’autres sources de revenus. Que certains d’entre eux se fassent
bandits, ou que les régions de montagnes et d’économie pastorale soient celles
où l’on trouve régulièrement ce genre de hors-la-loi, rien n’est au fond plus
naturel.
Dans ces régions, tout le monde n’est pas également
susceptible de devenir un hors-la-loi. Néanmoins, il existe toujours des
groupes auxquels leur position sociale donne la liberté d’action nécessaire. Le
plus important d’entre eux est celui des jeunes gens situés entre la puberté et
le mariage, c’est-à-dire ceux dont le poids des responsabilités familiales n’a
pas encore courbé l’échine. (Je me suis laissé dire que, dans les pays où le
divorce unilatéral est facile, la période qui sépare la répudiation d’une femme
du remariage peut constituer un autre moment de liberté relative, mais, tout
comme pour les veufs, cela n’est possible qu’en l’absence d’enfants en bas âge,
à moins que des parents n’acceptent de s’en occuper.) Même dans les sociétés
paysannes, la jeunesse est une phase d’indépendance et d’éventuelle rébellion. Des
hommes jeunes, souvent groupés en bandes organisées ou non, peuvent très bien
errer de travail en travail, courir la campagne et se battre. Les
szégeny légeny
(« pauvres garçons »)
des plaines de Hongrie étaient de ces brigands en puissance ; pris
séparément, ils étaient plutôt inoffensifs, même si parfois enclins à voler un
cheval ou deux, mais ils passaient facilement au banditisme en formant des
bandes de vingt à trente hommes qui choisissaient un endroit isolé comme
quartier général. La « vaste majorité » des recrues qui venaient
grossir les rangs du banditisme chinois était composée d’hommes jeunes, dans la
mesure où « la brève période qui précédait les responsabilités du mariage et
de la famille était celle où ils étaient plus libres qu’ils ne l’avaient jamais
été et qu’ils ne le seraient jamais à l’avenir ». C’est aussi pour cela
que les trente ans étaient l’âge fatidique où l’on pressait les bandits d’abandonner
leurs activités et de s’installer, tandis que ceux qui n’avaient jamais été
hors-la-loi mais qui n’avaient pu se marier et s’installer n’avaient guère d’autre
choix que de vivre aux marges de la société [42] .
On pourrait ajouter que ces derniers étaient d’autant plus nombreux que l’infanticide
sélectif des filles contribuait
Weitere Kostenlose Bücher