Les Bandits
à gonfler leurs rangs, dans la mesure où il
pouvait produire dans certaines régions de Chine un surplus d’hommes de l’ordre
de 20 %. Dans tous les cas de figure, il ne fait aucun doute que le bandit
typique était un homme jeune, et que son équivalent contemporain – comme les
guérilleros colombiens des années 1990, presque tous situés dans une fourchette
d’âge allant de quinze à trente ans – l’est aussi [43] . Les deux tiers
des bandits de la Basilicate dans les années 1860 avaient moins de vingt-cinq
ans. Dans le département de Lambayeque (Pérou), quarante-neuf bandits sur
cinquante-neuf étaient célibataires [44] .
Diego Corrientes, le bandit légendaire d’Andalousie, mourut à vingt-quatre ans ;
Janosik, son équivalent slovaque, à vingt-cinq ; Lampiao, le grand
cangaçeiro
du Nordeste brésilien, commença
sa carrière entre dix-sept et vingt ans et le vrai don José de
Carmen
à dix-huit ans. Dans la
Mandchourie des années 1920, l’âge moyen des chefs bandits était de vingt-cinq
ou vingt-six ans. Les écrivains sont parfois de bons observateurs : Mehmed
le Mince, héros d’un roman turc sur les bandits, est adolescent quand il gagne
les montagnes du Taurus.
L’autre grand réservoir d’hommes libres se trouve chez ceux
qui, pour une raison ou pour une autre, ne sont pas intégrés à la société
rurale et sont donc contraints de mener une existence marginale ou hors la loi.
Les bandes de
rasboiniki
qui
se multiplièrent dans les régions dépourvues de pistes et faiblement peuplées
de la vieille Russie se composaient de ce genre de marginaux. C’étaient souvent
des émigrants qui faisaient route vers les grands espaces du sud et de l’est, où
la suzeraineté, le servage et le gouvernement n’avaient pas encore pénétré, et
qui étaient en quête de ce qui devait plus tard devenir un objectif
révolutionnaire conscient,
Zemlya i Volya
(Terre et Liberté). Certains d’entre eux n’allaient pas jusqu’au bout, et par
ailleurs tous devaient faire quelque chose pour survivre. Les serfs en fuite, les
hommes libres ruinés, ceux qui s’étaient échappés des fabriques de l’État ou de
celles des seigneurs, de la prison ou du séminaire, les déserteurs de l’armée
et de la marine, ceux qui, comme les fils de prêtres, n’occupaient aucune place
précise à l’intérieur de la société, formaient ou rejoignaient des bandes de
brigands, qui, parfois, participaient au pillage pratiqué par d’anciennes
communautés frontalières de paysans libres comme les cosaques, ou par des
minorités nationales ou tribales [45] .
Parmi ces marginaux, les soldats, les déserteurs et les
anciens conscrits jouaient un rôle important. Le tsar avait de bonnes raisons
de décréter la conscription à vie, ou pratiquement, au point que la famille du
conscrit pouvait prononcer son oraison funèbre en lui disant adieu à la sortie
du village. Car les hommes qui reviennent de loin, et qui n’ont ni maître ni
terre, menacent la stabilité de la hiérarchie sociale. Comme les déserteurs, les
anciens conscrits sont de l’espèce dont on fait tout naturellement des bandits.
Les chefs de brigands dans l’Italie du Sud après 1860 sont assez régulièrement
présentés comme « ancien soldat de l’armée des Bourbons », ou « paysan
sans terre, ancien soldat ». Dans de nombreuses régions, c’était là un
itinéraire normal. Un Bolivien progressiste demandait en 1929 pourquoi les
anciens conscrits qui regagnaient leur lieu d’origine chez les Indiens Aymara
ne jouaient pas le rôle d’éducateurs et d’agents de la civilisation, au lieu de
« se transformer en vauriens dégénérés qui deviennent chefs de bandits
dans la région [46] ».
La question était juste, mais rhétorique. Les anciens conscrits peuvent
effectivement servir de chefs, d’éducateurs et de cadres de village, et tous
les régimes socialement révolutionnaires utilisent leur armée comme centre de
formation dans ce but précis, mais c’était hors de question dans la Bolivie
féodale.
Mis à part les anciens soldats revenus au pays, rares sont
ceux qui, même de façon temporaire, sont complètement en dehors de l’économie
du village tout en faisant partie de la société paysanne (ce n’est généralement
pas le cas des bohémiens, et autres
fahrendes
Volk
ou « vagrants »). L’économie rurale fournit
cependant un certain nombre d’emplois qui se situent à l’écart de la
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