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Les Bandits

Les Bandits

Titel: Les Bandits Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E. J. Hobsawm
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pays à fortes
proportions de « gentilshommes » : en Pologne, en Hongrie et en
Espagne par exemple, où ils représentaient peut-être 10 % de la population
totale, ils constituaient un large public tout prêt à entendre les ballades et
récits romanesques à la gloire de leurs propres exploits [51] .
    La distinction est encore plus nette entre les bandits
paysans et les éléments urbains ou « 
vagrants
 »
appartenant au monde du crime qui existait dans les interstices de la société
rurale, évidemment sans en faire partie. Dans les sociétés traditionnelles, les
criminels sont presque par définition des corps étrangers qui constituent une
société distincte, voire une antisociété de « truands », qui fait
écho à celle des « honnêtes gens ». Ils s’expriment en général dans
une langue qui leur est propre (argot, cant, caló, rotwelsch), et n’entretiennent
de relations qu’avec des gens qui, de par leurs occupations ou la communauté à
laquelle ils appartiennent, sont également exclus, par exemple les gitans, qui
ont considérablement nourri l’argot de la pègre française et espagnole, ou les
juifs, qui ont enrichi encore davantage le langage de la pègre allemande. (La
plupart des bandits paysans ne parlent aucun argot particulier, mais utilisent
simplement une version du dialecte local.) Ce sont des non-conformistes ou, plutôt,
dans la pratique et par principe, des anticonformistes ; ils prennent le
parti du Diable plutôt que celui de Dieu [52] ,
ou, s’ils ont de la religion, celui de l’hérésie par opposition à l’orthodoxie.
En Allemagne, au XVII e siècle, des malfaiteurs
chrétiens demandèrent en prison l’autorisation de suivre les services religieux
de leurs codétenus juifs, et l’on dispose d’indices sérieux (évoqués dans
Les Brigands
de Friedrich von Schiller)
qui permettent de penser que les bandes de brigands allemands, au XVIII e siècle, servaient de refuge aux membres des sectes de
libres-penseurs ou d’antinomiens, par exemple aux rescapés anabaptistes du
centre de l’Allemagne [53] .
Les bandits-paysans ne sont en rien hétérodoxes et partagent au contraire le
système de valeurs des paysans ordinaires, y compris leur piété et leur
méfiance à l’égard des autres religions. (C’est ainsi que, sauf dans les
Balkans, la plupart des bandits sociaux du centre et de l’est de l’Europe
étaient antisémites.)
    Là où des bandes de brigands criminels battent la campagne, comme
en Inde, ou dans certaines parties de l’Europe centrale aux XVII e et XVIII e siècles, elles se
distinguent donc généralement des bandits sociaux à la fois par leur
composition et leur manière d’opérer. Elles sont généralement formées de
membres de « tribus et castes criminelles », ou d’individus venant de
groupes ostracisés. Ainsi le gang Crefeld et Neuss des années 1790, tout comme
le gang de Keil, était-il en majeure partie composé de rémouleurs, tandis qu’à
Hesse-Waldeck opérait un gang composé surtout de chiffonniers. Près de la
moitié des membres du gang Salembier, qui, à la même époque, faisait du
Pas-de-Calais une région peu sûre, étaient des colporteurs, des revendeurs, et
autres forains. Le redoutable gang des Pays-Bas, comme la plupart de ses
diverses branches, avait un recrutement à majorité juive. On pourrait citer
bien d’autres exemples. Par ailleurs, les vocations criminelles étaient souvent
héréditaires : Schattinger, la femme-brigand de Bavière, avait derrière
elle deux siècles de tradition familiale, et plus de vingt membres de sa
famille, y compris son père et sa sœur, se trouvaient en prison ou avaient été
exécutés [54] .
Les brigands criminels, et ceci n’a rien de surprenant, ne recherchaient pas la
sympathie des paysans qui, comme tous les « honnêtes gens », représentaient
pour eux des ennemis, des oppresseurs et des victimes. Ils n’avaient donc pas
de racines locales comme les bandits sociaux, mais d’un autre côté ils n’étaient
pas prisonniers des limites d’un territoire, limites que les bandits sociaux
pouvaient rarement franchir sans risque. Ils faisaient partie d’un monde du
crime dont les réseaux, lâches mais considérables, couvraient peut-être plus de
la moitié d’un continent, avec certainement des ramifications dans les villes, lesquelles
étaient
terra incognita
pour
les bandits-paysans, qui n’éprouvaient pour elles que de la crainte et de la
haine.

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