Les Bandits
du
célèbre brigand confessant ses péchés sur son lit de mort, ou expiant ses
forfaits, tel le chef
haïdouc
Indje, que la terre recracha trois fois et qui ne trouva le repos dans sa tombe
que lorsqu’on y eut placé à ses côtés un chien crevé [72] . Ce n’est pas là
le sort du brigand au grand cœur, qui, lui, n’a pas commis de péchés. Au
contraire, les gens prient pour son salut ; ainsi les femmes de San
Stefano dans l’Aspromonte (Calabre) pour le grand Musolino :
« Musolino est innocent
Ils l’ont condamné injustement
Oh Madone, Oh saint Joseph
Prenez-le à jamais sous votre protection…
Oh Jésus, oh ma Madone
Protégez-le de tout
Aujourd’hui et pour toujours, ainsi soit-il [73] . »
En effet, le bandit au grand cœur est
bon.
Prenons l’image de Jesse James (la
réalité la dément quelque peu) : Jesse, disait-on, n’avait jamais dévalisé
un prêtre, une veuve, un orphelin, ou un ancien soldat des États sudistes. Qui
plus est, le bruit courait qu’il avait été un baptiste fervent et à la tête d’une
chorale religieuse. Les petits fermiers du Missouri pouvaient difficilement
aller plus loin pour prouver sa moralité.
Après sa mort, le bandit au grand cœur peut en effet accéder
au statut moral ultime, celui d’intermédiaire entre les hommes et la divinité. On
trouve en Argentine un grand nombre de cultes organisés autour des tombes de
gauchos
à la peau dure, le plus souvent
des vétérans des guerres civiles du XIX e siècle
devenus brigands, dont les sépultures, réputées pour les miracles auxquels
elles donnent lieu, portent souvent les couleurs de leur bande.
Il est évident qu’un homme de ce genre ne peut qu’être
soutenu par tous, que personne ne se tournerait contre lui pour aider les
représentants de la loi, qu’il est pratiquement impossible à des soldats et des
gendarmes maladroits de lui mettre la main dessus dans le pays qu’il connaît si
bien, et que seule la trahison peut entraîner sa capture. Comme le dit la
ballade espagnole :
« Ils offrent pour sa tête
Deux mille escudos d’argent.
Beaucoup aimeraient les gagner
Mais personne n’a la moindre chance
Sauf un de ses camarades [74] . »
La réalité et la théorie concordent : c’est la trahison
qui cause la perte des bandits, même si la police, comme dans le cas de
Giuliano, revendique le mérite de leur capture. (Il y a même un proverbe corse
qui dit à ce sujet : « Tué après sa mort, comme un bandit par la
police. ») De l’époque de Robin des Bois au XX e siècle, les ballades et les contes sont pleins de traîtres exécrés : Robert
Ford, qui trahit Jesse James, Pat Garrett, le Judas de Billy le Kid, ou Jim
Murphy, qui dénonça Sam Bass :
« Jim va drôlement griller en enfer
Quand Gabriel sonnera de la trompette. »
Les documents historiques fournissent les mêmes explications :
Oleksa Dovbus, le bandit des Carpathes (XIII e siècle),
ne fut pas trahi par sa maîtresse Erzika, comme le veulent les chansons, mais
tué par le paysan Stepan Dzvinka, qu’il avait aidé et qui lui tira dans le dos.
Et Salvatore Giuliano fut lui aussi trahi, ainsi qu’Angiolillo et Diego
Corrientes. Pouvaient-ils mourir autrement ?
N’étaient-ils pas invisibles et invulnérables ? Les « bandits
du peuple » sont toujours censés l’être, à la différence d’autres
desperados
, et cette croyance reflète à
quel point ils s’identifient à la paysannerie. Ils courent la campagne sous des
déguisements qui les rendent méconnaissables, ou habillés comme tout un chacun ;
les représentants de l’autorité ne les reconnaissent que lorsqu’ils révèlent
leur identité. Personne n’a envie de les dénoncer, et ils ne se distinguent pas
du commun des mortels : autant dire qu’ils sont invisibles. Les anecdotes
ne font que donner à ces rapports une expression symbolique. Quant à leur
invulnérabilité, c’est, semble-t-il, un phénomène un peu plus complexe. Elle
reflète également, dans une certaine mesure, la sécurité dont jouissent les
bandits au milieu de leur peuple et sur leur propre sol. Elle est aussi l’expression
d’un désir : que le champion du peuple ne soit pas vaincu, et c’est ce
même désir qui engendre le mythe éternel du bon roi – et du bon bandit – qui n’est
pas vraiment mort et qui va revenir un jour pour restaurer la justice. Le refus
de croire à la mort d’un brigand le désigne de façon certaine comme
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