Les Bandits
nom interdit.) Si Rob Roy devint un Robin des Bois écossais, c’est
en grande partie parce qu’il attaqua le duc de Montrose, magnat célèbre qui, à
son avis, avait commis une injustice à son égard. En ce sens, la résistance
armée qu’opposent les perdants aux triomphateurs dans le domaine de la
politique de l’aristocratie ou des familles locales peut, tout au moins
localement et de manière temporaire, satisfaire les pauvres qui en veulent à
leurs exploiteurs. C’est là d’ailleurs une situation qui se retrouve dans d’autres
domaines politiques. Quoi qu’il en soit, là où les familles qui possèdent la
terre se livrent à la vendetta, forment et brisent des alliances et se
disputent des héritages par la force des armes, les plus forts passant sur le
corps des plus faibles pour accroître leur fortune et leur influence, de riches
possibilités sont évidemment offertes aux bandes de combattants qui se mettent
sous les ordres de ceux qui n’acceptent pas leur défaite.
Les structures de la vie politique rurale dans les
conditions favorables au banditisme ont donc deux conséquences : d’une
part, elles l’entretiennent, le protègent et le développent, d’autre part, elles
l’intègrent au système politique. Il est reconnu que ces conséquences sont sans
doute plus importantes là où l’appareil d’État est absent ou inefficace et là
où les centres du pouvoir régional s’équilibrent ou sont instables, dans les
cas d’« anarchie féodale », dans les zones frontières, au sein d’une
mosaïque changeante de petites principautés, et dans un arrière-pays désert. Quand
il est puissant, un empereur, un roi ou même un baron fait respecter sa loi sur
ses terres et, au lieu de les protéger, pend les bandes de voleurs, qu’ils
menacent l’ordre social ou que, tout simplement, ils gênent le commerce et la
propriété. À la différence des rajahs de Jaipur, le raj britannique n’avait pas
besoin de recruter des
dacoïts
pour escorter ses transports de marchandises précieuses. Les hommes dont le
pouvoir est fondé sur l’accumulation de l’argent par l’argent et qui n’ont pas
(ou n’ont plus) besoin de couteau ou de fusil pour s’enrichir louent des
policiers plutôt que des gangsters afin de protéger leur fortune. Les « barons
voleurs » du capitalisme américain firent la fortune des Pinkerton, et non
celle des tueurs à gages. Ce n’est pas le
big
business
, mais le
small
business
, et le monde du travail ou de la politique municipale, qui
étaient obligés de négocier avec les bandes. Par ailleurs, plus le
développement économique est poussé et plus les riches et les puissants sont
susceptibles de considérer les bandits non pas comme un facteur parmi d’autres
dans le jeu du pouvoir, mais comme des gens qui menacent la propriété et qu’il
convient de supprimer.
Les bandits deviennent alors en permanence des hors-la-loi
qui ont contre eux tous les gens « respectables ». C’est peut-être à
ce stade qu’apparaît l’antimythologie du banditisme, le bandit se situant à l’opposé
du héros et étant considéré – pour reprendre la terminologie des nobles russes
à la fin du XVIII e siècle – comme « une bête
de forme humaine », « prête à profaner tout ce qui est saint, à tuer,
à piller, à brûler, et à violer la volonté de Dieu et les lois de l’État [110] ». (II
semble certain que, tout au moins en Russie, ce mythe du bandit vu comme la
négation de l’humanité soit apparu bien après le mythe héroïque de la chanson
et de la légende populaires.) Les mécanismes assurant l’intégration du
banditisme à la vie politique normale disparaissent. Le brigand n’appartient
plus qu’à une seule catégorie de la société, les pauvres et les opprimés. Il
peut soit s’associer à la rébellion du paysan contre le seigneur, de la société
traditionnelle contre le monde moderne, des communautés marginales ou
minoritaires contre leur intégration à un système politique plus large, soit
gagner les rangs de ce monde qui fait en permanence pendant au monde
respectable, c’est-à-dire le monde du crime [111] .
Mais, même dans ce dernier cas, il est de moins en moins possible de vivre dans
la montagne, la forêt, ou sur les grands chemins. Bonnie et Clyde, les
héritiers de Jesse James, n’étaient pas des criminels caractéristiques de l’Amérique
des années 1930, mais des anachronismes. Pour le bandit moderne, la
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