Les Bandits
situation convient merveilleusement aux bandits, car
elle crée une demande et leur permet de jouer un rôle politique. Ils
constituent alors un réservoir local d’hommes armés et non engagés qui, s’ils
peuvent être amenés à accepter la protection d’un gentilhomme ou d’un magnat, ajoutent
considérablement à son prestige et sont susceptibles, le moment venu, de
renforcer son pouvoir militaire ou électoral. (Qui plus est, les nobles qui
constituent et entretiennent des suites fournissent du travail aux bandits
individuels, que ce soient de véritables bandits ou des bandits en puissance.) Un
chef de brigands avisé prend soin d’épouser la cause de la faction locale
dominante, qui peut lui garantir une protection réelle, mais, s’il se refuse à
soutenir un protecteur, il est à peu près certain que la plupart des chefs
locaux le traiteront en allié éventuel, donc en homme avec qui il convient de
rester en bons termes. C’est la raison pour laquelle, dans des régions reculées
où l’autorité centrale ne se fait pas réellement sentir, par exemple l’arrière-pays
du Nordeste brésilien jusqu’à 1940, des bandes célèbres peuvent prospérer
pendant des périodes étonnamment longues : Lampiao dura près de vingt ans.
Cela dit, Lampiao s’était servi de ce genre de situation politique pour mettre
sur pied une force telle qu’elle ne représentait pas simplement un appoint
éventuel pour quelque « colonel » de l’arrière-pays, mais une
puissance autonome.
En 1926, la colonne Prestes, une formation de guérilleros
itinérants dirigée par un officier rebelle qui était sur le point de devenir le
chef du Parti communiste brésilien, atteignait le nord-est du pays après deux
ans d’opérations dans d’autres régions de l’intérieur. Le gouvernement fédéral
fit appel au père Cicéro, le messie de Cearù, qui était devenu, grâce à son
influence, le véritable chef politique de cet État, et qui fut contacté en
partie parce qu’un « messie » pouvait contribuer à rendre les fidèles
insensibles à la séduction socio-révolutionnaire de Prestes et de ses hommes. Le
père Cicéro, qui ne tenait aucunement à la présence de troupes fédérales dans
son fief (il fit remarquer que ses ouailles n’étaient pas disposées à s’opposer
à qui que ce soit sous prétexte que le gouvernement décidait d’en faire un « bandit »,
et la colonne Prestres ne donnait pas du tout aux fidèles l’impression d’être
antisociale) accepta la solution qu’on lui suggérait. Lampiao fut invité à
Juazeiro, la Jérusalem du père, où il fut accueilli avec tous les honneurs
possibles et où le plus gradé des officiers fédéraux cantonnés dans la ville (en
l’occurrence un inspecteur du ministère de l’Agriculture) lui donna
officiellement le titre de capitaine ainsi qu’un fusil et 300 balles par homme,
avec pour mission de harceler les rebelles [105] .
Le célèbre bandit fut immensément séduit par la légitimité qui lui était
soudainement conférée. Mais un « colonel » de ses amis l’avertit qu’il
allait tout simplement tirer les marrons du feu pour le gouvernement qui, une
fois Prestes disparu, ne manquerait pas de déclarer que le grade de Lampiao n’avait
aucune valeur et refuserait tout aussi certainement d’honorer sa promesse d’amnistie
pour les anciens crimes du bandit. Ce raisonnement sembla convaincre Lampiao
qui s’empressa de renoncer à poursuivre Prestes. Il partageait sans aucun doute
la conviction de tout un chacun dans l’arrière-pays, à savoir que, si on savait
comment s’y prendre avec les bandes armées qui battaient la campagne, le
gouvernement, en revanche, était à la fois plus imprévisible et plus dangereux.
Les seuls bandits incapables de profiter d’une situation
politique aussi avantageuse étaient ceux qui avaient une telle réputation de
rebelles sociaux que les propriétaires terriens et les nobles sans exception
préféraient les voir morts. Mais ces bandes ne furent jamais qu’une poignée et
leurs effectifs étaient limités par la facilité même avec laquelle les bandits
paysans pouvaient entrer en rapport avec les gens importants.
Par ailleurs, les structures de la vie politique dans ces
sociétés rurales renforçaient le banditisme d’une manière peut-être encore plus
impressionnante. En effet, si les familles ou factions dirigeantes protégeaient
les bandits, les chefs des familles vaincues ou des
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