Les Bandits
groupes qui sont nés avec un idéal plus noble acquièrent
tous les traits du banditisme [114] ».
Un fonctionnaire autrichien au service des Turcs a donné une
excellente description des premiers stades d’une mobilisation paysanne de ce
genre en Bosnie. À l’origine, tout au moins en apparence, une simple histoire
de dîme, avec une opposition plus farouche que d’habitude. Puis les paysans
chrétiens de Lukovac et d’autres villages se rassemblèrent, abandonnant leurs
maisons pour gagner la montagne de Trusina Planina, tandis que ceux de Gabela
et de Ravno arrêtaient le travail et organisaient des réunions. Alors que les
négociations se poursuivaient, une bande de chrétiens attaqua, près de
Nevesinye, une caravane venant de Mostar, et tua sept conducteurs musulmans. Les
Turcs suspendirent alors les négociations, ce sur quoi tous les paysans de
Nevesinye prirent les armes et gagnèrent la montagne où ils allumèrent des feux
pour donner l’alarme. Ceux de Ravno et de Gabela prirent également les armes. De
toute évidence, un grand soulèvement se préparait, soulèvement qui devait en
fait être à l’origine de la guerre des Balkans dans les années 1870 et séparer
la Bosnie Herzégovine de l’Empire ottoman, sans compter diverses conséquences
internationales importantes, qui n’entrent pas dans le cadre de cette étude [115] . Ce qui nous
intéresse ici, c’est la façon caractéristique dont se combinent, dans une
révolution paysanne de ce genre, la mobilisation des masses et l’accroissement
des activités de banditisme.
Là où existe une forte tradition
haïdouc
, ou de puissantes communautés de hors-la-loi et de
bandits paysans libres et armés, il arrive que ces révoltes portent encore plus
nettement la marque du banditisme, dans la mesure où celui-ci peut avoir été
vaguement reconnu comme le vestige d’une ancienne liberté ou le noyau d’une
liberté à venir. Par exemple à Saharanpur (Uttar Pradesh, Inde) les Gujars, qui
constituent une importante minorité, ont une forte tradition d’indépendance ou
d’« indiscipline » et de « mépris des lois » (pour
reprendre la terminologie des fonctionnaires britanniques). Le grand domaine qu’ils
possédaient à Landhaura fut morcelé en 1813. Onze ans plus tard, les temps
étant durs, les « esprits audacieux » de Saharanpur « refusant
de mourir de faim, formèrent une bande dirigée par un chef de brigands du nom
de Kallua », qui était un Gujar de la région, et, se lançant dans le
banditisme des deux côtés du Gange, se mirent à voler les
banias
(la caste des commerçants et des
prêteurs d’argent) ainsi que les voyageurs et les habitants de Dehra Dun.
« Les
dacoïts
, comme le
remarque un observateur, étaient peut-être moins désireux de piller que de
retrouver l’ancien genre de vie, une vie de hors-la-loi que ne venaient pas
entraver les règlements des autorités supérieures. En somme, la présence de
bandes armées ne représentait pas qu’une simple violation de la loi, elle était
synonyme de rébellion [116] . »
KaIlua, s’alliant à des nobles mécontents, dont un
taluqdar
important qui contrôlait
quarante villages, donna rapidement à la révolte des proportions plus
considérables : il se mit à attaquer des postes de police, déroba un
trésor à quelque deux cents gardes et mit à sac la ville de Bhagwampur. Là-dessus
il se proclama Rajah Kalyan Singh et, se comportant en roi, envoya des
messagers lever un tribut dans le pays. Il disposait maintenant d’un millier d’hommes
et déclara qu’il allait secouer le joug étranger. Il fut vaincu par une force
de deux cents gourkhas, pour s’être montré « incroyablement prétentieux, au
point d’attendre l’attaque à l’extérieur du fort ». La rébellion se
poursuivit jusqu’à l’année suivante (« une mauvaise saison […] ayant amené
de nouvelles recrues »), puis s’arrêta.
Il arrive assez souvent qu’un chef de bandits soit considéré
comme un prétendant au trône ou cherche à légitimer la révolution en se donnant
officiellement un statut de souverain. Les exemples les plus impressionnants
sont peut-être fournis par les chefs de bandits et de cosaques en Russie, où la
population avait toujours tendance à voir dans les grands
rasboiniki
des héros miraculeux, proches
des champions de la Sainte Russie contre les Tartares, ou même des incarnations
possibles du « tsar des pauvres »,
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