Les Bandits
une
connaissance correcte de la théorie marxiste, mais il éprouva rapidement la
nostalgie de l’action directe, pour lui beaucoup plus excitante. Il mourut d’un
accident de bicyclette, et cela valut sans doute mieux pour lui. À cette époque
comme dans les années qui suivirent, l’Union soviétique n’était pas l’endroit
idéal pour cette forme de vieux bolchevisme.
Le meilleur moyen de présenter le phénomène de l’« expropriation »
aux lecteurs pour qui les combattants idéologiques ne sont pas des personnages
familiers, c’est d’esquisser le portrait de l’un d’entre eux. J’ai choisi le
cas de Francisco Sabaté Llopart (1913-1960), membre du groupe de guérilleros
anarchistes qui, après la Seconde Guerre mondiale, lancèrent des raids sur la
Catalogne à partir de bases situées en France, et qui, aujourd’hui, sont
presque tous morts ou en prison : les frères Sabaté, Jose Lluis Facerias, garçon
de café dans le Barrio Chino à Barcelone (sans doute le plus capable et le plus
intelligent), Ramon Capdevila, le boxeur, surnommé Tête-brûlée ou Caraquemada (probablement
le plus dur du lot, et l’un de ceux qui vécurent le plus longtemps, puisqu’il
ne mourut qu’en 1963), Jaime Pares « El Abissinio », ouvrier d’usine,
Jose Lopez Penedo, Julio Rodriguez « El Cubano », Paco Martinez, Santiago
Amir Gruana « El Sheriff », Pedro Adrover Font « El Yayo »,
le jeune et toujours affamé Jose Pedrez Pedrero « Tragapanes », Victor
Espallargas à qui ses principes pacifistes ne permettaient d’attaquer les
banques qu’à condition de ne pas être armé, et tous les autres, dont les noms n’existent
plus que dans les fichiers de la police et dans la mémoire de leur famille et
de quelques militants anarchistes.
Barcelone, ville enserrée de collines et capitale dure et
passionnée de l’insurrection prolétarienne, était leur maquis, même s’ils
connaissaient assez bien les montagnes pour faire la navette entre elles et la
ville. Ils se servaient comme moyens de transport de taxis réquisitionnés et de
voitures volées et se donnaient rendez-vous aux queues d’autobus et devant les
grilles des stades de football. Ils étaient vêtus de l’imperméable cher aux
combattants urbains, de Dublin à la Méditerranée, et transportaient leurs armes
ou leurs bombes dans des cabas à provisions ou des porte-documents. Ils étaient
poussés par l’« idée » de l’anarchisme, ce rêve intransigeant et fou
que nous partageons tous, mais que peu d’hommes, à part les Espagnols, ont
jamais essayé de réaliser, quitte à risquer une défaite totale et à réduire
leur mouvement ouvrier à l’impuissance. Leur monde était le monde où les hommes
sont dirigés par les pures exigences de la conscience morale ; où il n’y a
ni pauvreté, ni gouvernement, ni prisons, ni policiers, et où il n’y a d’autre
obligation et discipline que celles dictées par la lumière intérieure ; où
n’existent d’autres liens sociaux que ceux de la fraternité et de l’amour ;
où il n’y a ni mensonges, ni propriété, ni bureaucratie. Dans ce monde, les
hommes sont purs, comme Sabaté, qui ne fumait ni ne buvait (sauf bien sûr un
peu de vin aux repas) et mangeait aussi frugalement qu’un berger même quand il
venait de voler une banque. Dans ce monde, les lumières de la raison et de la
conscience poussent les hommes à sortir de l’ombre. Rien ne les sépare de cet
idéal, sinon les forces du mal, les bourgeois, les fascistes, les stalinistes, et
même les anarchistes égarés, toutes forces qu’il faut balayer, tout en évitant
bien sûr de tomber dans les pièges diaboliques de la discipline et de la
bureaucratie. C’est un monde où les moralistes sont également des combattants, à
la fois parce qu’un revolver tue des ennemis et parce qu’il sert de moyen d’expression
à des hommes qui ne peuvent pas écrire les pamphlets ou prononcer les grands
discours dont ils rêvent. La propagande se fait par l’action, non par la parole.
Francisco Sabaté Llopart « Quico » découvrit l’« idée »
en même temps que toute une génération de jeunes ouvriers de Barcelone âgés de
treize à dix-huit ans, à l’occasion du grand réveil moral qui fit suite à la
proclamation de la République espagnole en 1931. Sabaté, qui devint plombier, était
l’un des cinq enfants d’un homme apolitique qui travaillait comme gardien
municipal à Hospitalet de
Weitere Kostenlose Bücher