Les Bandits
régions où le
puissant mouvement de la guérilla communiste se développa dans les années 1960
– une pléthore de bandes armées vaincues qui avaient été politisées, mais qui
dépendaient désormais d’alliances locales avec les puissants ou de la sympathie
des populations paysannes, et qui perdirent rapidement ces appuis. Elles furent
balayées au cours des années 1960. Les traces qu’elles ont laissées dans les
mémoires ont été longuement décrites par les meilleurs experts du sujet :
« Si l’on excepte le souvenir idéalisé que les paysans en
gardent encore dans les territoires où il avait bénéficié de soutiens, il se
peut que le “bandit social” ait aussi été vaincu comme personnage mythique… Ce
qui s’est produit en Colombie est le processus inverse de celui qu’a traversé
le
cangaço
brésilien. Au fil du temps, ce dernier a perdu l’essentiel de l’ambiguïté qui
le caractérisait et s’est progressivement conformé à l’image idéale du bandit
social. Le
cangaçeiro
a fini par devenir le symbole des vertus indigènes et l’incarnation de l’indépendance
nationale […]. En Colombie, au contraire, le bandit personnifie la cruauté et
la monstruosité inhumaine ; dans le meilleur des cas, il fait figure de
“fils de la
Violencia
”,
frustré, désorienté et manipulé par des dirigeants locaux. C’est là l’image que
l’opinion publique a adoptée [170] . »
Quelles que soient les images que les guérilleros des FARC (Fuerzas
Armadas de la Revolución Colombiana – la principale force de guérilla en
Colombie depuis 1964), les paramilitaires, et les hommes de main des cartels de
la drogue laisseront à la postérité du XXI e siècle,
elles n’auront rien de commun avec le vieux mythe du bandit.
Qu’en est-il, enfin, de la plus ancienne et de la plus
continue des traditions du banditisme social, celle de la Chine ? Égalitaire,
ou tout du moins en porte-à-faux par rapport à aux idéaux strictement
hiérarchiques du confucianisme, porteuse d’un certain idéal moral (ouvrant « la
Voie pour le compte des Cieux »), cette tradition survécut pendant deux
millénaires. Ainsi des rebelles hors-la-loi comme Bai Lang (1873-1915), dont on
chantait ainsi les hauts faits :
« Bai Lang, Bai Lang –
Il vole aux riches pour venir en aide aux pauvres
Et montre la voie pour le compte des cieux.
Tout le monde en convient : Bai Lang a bon cœur ;
D’ici deux ans les riches et les pauvres seront égaux [171] . »
Il est difficile d’imaginer que les décennies qui suivirent
la fin de l’Empire chinois en 1911, marquées par la pandémie de banditisme et
les exactions des seigneurs de la guerre, aient pu laisser un bon souvenir à
quiconque les a traversées. Néanmoins, même si l’étendue du phénomène diminua
de façon spectaculaire après 1949, on peut soupçonner que la tradition du
banditisme a pu se maintenir dans les régions où elle était ancrée, et ce
malgré l’hostilité du Parti, dans une Chine des premières décennies du
communisme encore essentiellement rurale. On peut faire l’hypothèse que le
banditisme se déplacera vers les nouvelles mégapoles qui aspirent par millions
les pauvres des campagnes, en Chine comme au Brésil. Par ailleurs, les grands
monuments littéraires érigés à la gloire de la vie de bandit, comme le
Shui Hu Zuan
, continueront sans doute à
faire partie de la culture chinoise. Peut-être trouveront-ils un nouvel avenir
auprès du public, qu’il soit populaire ou cultivé, installé face aux écrans
chinois du XXI e siècle, à l’image de celui qu’ont
connu les chevaliers errants et les guerriers luttant contre les samouraïs à
grands coups de sabre sur les écrans japonais au XX e siècle. Il ne fait aucun doute que leur potentiel romantique et mythique est
loin d’être épuisé.
POSTFACE
Cette postface se compose de deux parties. La première passe
en revue les principales critiques qui ont été formulées à l’encontre de ma
thèse de départ sur le banditisme, ce qui ne manquera pas de satisfaire la
curiosité des lecteurs que les débats universitaires intéressent. La seconde
propose une réflexion sur la survie du modèle classique du banditisme social à
l’époque des économies capitalistes développées, et ce jusqu’à aujourd’hui.
I
On a formulé un certain nombre d’arguments critiques à l’encontre
de la thèse que j’ai initialement avancée au sujet « banditisme
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