Les Bandits
1978-1979 [159] .
Nazzareno Guglielmi, dit « Cinnicchio » (1830-?), survit dans la
mémoire populaire des habitants de la région d’Assise, en Ombrie, sous la forme
classique du mythique « noble voleur ». Bien que « le portrait
de Cinnichio qui émerge des archives ne soit pas foncièrement opposé à la
tradition orale », le personnage qui vécut réellement était assez éloigné
de l’idéal type de Robin des Bois. Bien qu’il ait passé des alliances
politiques et anticipé les méthodes ultérieures de la maffia en offrant aux
propriétaires fonciers, contre des paiements réguliers, de les protéger contre
d’autres bandits (et contre lui-même), la tradition orale insiste sur son refus
de passer des accords avec les riches, et notamment sur sa campagne de
dénigrement et – de façon particulièrement significative – son désir de
revanche
contre le comte Cesare Fiumi, qui,
dit-on, l’avait injustement accusé. Cependant, le mythe comprend dans ce cas un
élément plus moderne. Le bandit, qui disparut de la circulation dans les années
1860 après avoir organisé son évasion vers l’Amérique, est censé y être devenu
riche et prospère, et l’un de ses fils au moins aurait réussi sa vie comme
ingénieur. Dans l’Italie rurale de la fin du XX e siècle,
une carrière de noble voleur trouve aussi sa récompense dans la mobilité
sociale…
III
Qui sont les bandits dont on se souvient ? Le nombre de
ceux qui ont survécu pendant des siècles au-travers des chansons et des récits
populaires est en fait assez modeste. Dans les recueils folkloriques catalans
du XIX e siècle, on ne trouve que trente-six
chansons qui portent sur le banditisme du XVI e et
du XVII e siècle, et seules six d’entre elles sont
exclusivement consacrées à des individus spécifiques. (Un tiers du total se
compose de ballades qui ont pour thème les unions
contre
les attaques de bandits qui existaient au début du XVII e siècle.) Le nombre de bandits andalous qui accédèrent à
la notoriété ne dépassait pas la demi-douzaine. Au Brésil, seuls deux chefs
cangaçeiro
– Antonio Silvino et Lampiao
– ont fait leur entrée dans la mémoire nationale. Quant aux bandits de Murcie
et de la région valencienne au XIX e siècle, un seul
est entré dans la légende [160] .
Il est évident que beaucoup d’informations ont pu disparaître en raison du
caractère éphémère de la littérature populaire et des ballades, et de l’hostilité
des autorités à laquelle cette littérature était souvent confrontée. Une masse
de données plus importante encore n’a sans doute jamais atteint le stade de l’impression,
quand elle n’a pas échappé aux investigations des premiers folkloristes. Une
étude publiée en 1947 mentionne deux exemples de cultes religieux nés autour
des sépultures de certains brigands argentins (voir plus haut, p. 55 édition US) ;
une étude ultérieure en dénombra au moins huit. À l’exception d’un seul, aucun
de ces cultes n’a attiré l’attention du public cultivé [161] .
Néanmoins, il existe clairement un processus de sélection en
vertu duquel certaines bandes ainsi que leurs chefs accèdent à la renommée
nationale ou internationale, tandis que les autres sont livrés à la curiosité
des historiens régionaux ou à l’obscurité. Quel que soit l’élément qui les ait
distingués au départ, le média qui assura leur renommée jusqu’au XX e siècle fut l’imprimerie. À ma connaissance, tous les
films qui portent sur des bandits célèbres sont inspirés de personnages d’abord
plantés par des ballades, des romans populaires ou des récits journalistiques :
on peut avancer que c’est encore le cas aujourd’hui, malgré le recul du monde
de l’écrit (à l’exception de l’écran d’ordinateur) devant l’image animée du
film, de la télévision et de la vidéo. Cependant, la mémoire des
bandits
est aussi préservée par leur
association avec un lieu particulier, comme la forêt de Sherwood et Nottingham
pour Robin des Bois (une géographie réfutée par la recherche historique), le
mont Liang pour les bandits de l’épopée chinoise (dans la province du Shantung),
et de nombreuses « cavernes de voleurs » anonymes dans les chaînes
montagneuses du pays de Galles, et probablement de bien d’autres régions. On a
évoqué plus haut le cas particulier des lieux voués au culte de bandits
disparus.
Les traditions qui ont retenu certains bandits pour
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