Les Bandits
social ».
Le premier et certainement le plus important est celui qu’Anton
Blok a formulé au début des années 1970, et qui a été largement repris depuis [172] . Blok ne nie pas
l’existence du « banditisme social » au sens où je l’entends, dans la
mesure où « durant les premiers stades de leur carrière, les hors-la-loi
et les bandits incarnent le ressentiment paysan. En rançonnant les riches, en
volant leur bétail, et en pillant leur
masserie
,
les bandits sont devenus les héros du peuple en faisant ce que la plupart de
leurs semblables auraient aimé faire ». Toutefois, à moins qu’ils n’aient
bénéficié de quelque protection, les bandits faisaient long feu, et les paysans,
démunis et privés de pouvoir, représentaient par définition la source de
protection la plus faible qui soit. Si bien que celui qui se mettait hors la
loi en redressant des torts personnels était destiné « soit à être tué, soit
à être enrôlé au service des élites régionales établies, et soumis à leur
autorité », auquel cas « il représentait dès lors l’autre camp dans
la lutte des classes ». Sans compter le fait que les simples voleurs et
les bandits communs privés de toute attache sociale étaient pléthore [173] . Rien de tout
cela ne contredit l’argument développé dans mon livre, même si la thèse de Blok,
pour qui « il faut traiter le brigandage et le mythe du bandit comme des
forces qui affaiblissent la mobilisation paysanne », requiert quelques
ajustements.
Il n’en reste pas moins que l’observation de Blok, selon
laquelle « la vision du brigandage par Hobsbawm souffre du fait qu’il
accorde une trop grande attention aux paysans et aux bandits eux-mêmes », c’est-à-dire
pas assez à la société environnante et aux structures du pouvoir politique, est
tout à fait juste. Mon livre ne négligeait certes pas ces éléments (voir par
exemple le chapitre 7), et un cadre d’analyse historique plus large est
esquissé ici et là. Toutefois, comme je l’ai moi-même observé, « un modèle
qui porte sur la fonction, réelle ou attribuée, de contestation sociale qui est
celle du bandit n’est pas nécessairement le cadre approprié […] pour l’analyse
[…] dans la mesure où il faut prendre en considération la totalité du phénomène,
qu’il entre ou non dans la catégorie de la contestation sociale. Ainsi, la
principale question qui se pose au sujet de la vague de banditisme qui touche
le bassin méditerranéen à la fin du XVI e siècle n’est
pas de savoir si on peut considérer Sciarra comme un bandit social [174] ». Bien
entendu, mon ouvrage était et reste principalement centré sur « la
fonction de contestation sociale du bandit ». Cependant, le chapitre sur
la relation entre le banditisme et la politique que j’ai ajouté à cette édition
est susceptible de faire du livre une introduction plus nuancée en la matière. De
toute évidence, on ne saurait comprendre le banditisme en dehors de son
contexte politique.
D’un autre côté, Blok considère que le « mythe »
du bandit à la Robin des Bois, qui incarne sans aucun doute une aspiration
sociale propre aux paysans, mérite certes de faire l’objet d’une analyse
historique, mais n’entretient pas pour autant beaucoup de rapports avec la
réalité sociale. Pour le dire simplement – peut-être trop simplement –, Robin
des Bois n’existe que dans l’esprit de son public. Mais si le mythe n’entretenait
aucun rapport avec la réalité du banditisme, tout caïd pourrait faire figure de
Robin des Bois. Pourtant, même si les candidats les moins probables ont parfois
pu décrocher ce rôle,
partout
où le mythe du bandit est enraciné, pour autant que je le sache, on fait la
distinction entre les « bons » bandits et les « mauvais »
bandits foncièrement anti-sociaux sur la base de leur comportement réel (avéré
ou supposé). Dans la région du Chaco, Maté Cosido était considéré comme un « bon »
voleur, y compris par la police qui le pourchassait, tandis qu’un certain
Velasquez faisait figure de « mauvais » bandit. Le statut des frères
Mesazgi (p. 1-5 édition US) était incertain aux yeux de l’opinion locale, puisque
les gens ne s’accordaient pas sur la légitimité de la vendetta qui en fit des
hors-la-loi. Et pourtant, une fois que leurs actions se révélèrent bénéfiques, on
vit en eux des « bandits particuliers ».
Le seul cas patent de
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