Les Bandits
banditisme social dans l’Allemagne du XVIII e siècle est celui de Mathias Klostermayer et de sa bande,
qui opérait en Bavière (« der bayrische Hiesel ») aux alentours de
1770. Parce que sa spécialité était le braconnage, une activité que les paysans
ont toujours considérée comme légitime, on l’admirait et on l’aidait. « Des
centaines de gens, déclara-t-il, m’ont dit : viens sur mes terres, il y a
trop de gibier, on peut compter une centaine de têtes au moins. » Il mena
un combat personnel, à visage découvert et en public, contre les chasseurs, les
garde-chasse, les représentants de la loi et de l’autorité publique, et il
avait la réputation de ne détrousser que les « ennemis » en question.
Lorsqu’il attaqua et mis à sac en plein jour l’office public (
Amtshaus
) à Täfertingen, près d’Augsburg,
il considéra que son raid constituait un « acte légitime » et les
paysans ne manquèrent pas de partager son avis [175] . Quant aux
bandits-gauchos argentins, ils ne reçurent pas tous l’accolade finale du public
qui en aurait fait des saints. Il leur fallait pour cela devenir des martyrs. La
condition minimale était qu’ils « tombent au cours de la lutte qu’ils
menaient contre la justice officielle, et en particulier contre l’institution
de la police ». Femme et bandit, Martina Chapanay ne fut pas canonisée de
la sorte, même si on ne manquait pas de l’idéaliser par ailleurs, parce qu’elle
« n’avait jamais été victime des autorités [176] ». Bien
évidemment, ces éléments peuvent conforter des observateurs réalistes comme
Giuseppe Giarizzo, l’éminent historien sicilien, dans l’idée qu’il ne faut pas
encourager les illusions romantiques car, comme je l’ai entendu le dire une
fois, le mythe du bandit social est essentiellement une combinaison de
consolation et de falsification.
Inversement, étant donné le caractère universel et
standardisé du mythe du bandit, faudrait-il s’étonner si le hors-la-loi qui, pour
une raison ou pour une autre, se voit propulsé dans ce rôle prestigieux du
théâtre de la vie rurale, s’efforçait de temps à autre d’agir conformément au
script, toutes choses étant égales par ailleurs ? Il ne fait pas de doute
que les bandits disparus, ou même vivant dans des contrées lointaines, sont
ceux qui se prêtent le mieux à faire figure de Robin des Bois, quel qu’ait pu
par ailleurs être leur comportement réel. Et pourtant, il est attesté que
certains bandits ont pu à l’occasion s’efforcer de montrer qu’ils étaient à la
hauteur de leur rôle. À la fin des années 1960, les fonctionnaires du Parti
communiste du Bihar, en Inde (CPI), ont tenté en vain de dissuader un militant
paysan passé des attaques solitaires contre les propriétaires à l’activisme
communiste de distribuer directement aux paysans les fonds qu’il collectait
pour le Parti. Il avait toujours distribué l’argent, et lui faire perdre cette
habitude n’était guère facile.
Un second faisceau de critiques vise à relativiser le
caractère de classe tant du banditisme que du mythe du bandit, et à les
rapporter à l’univers de la classe dirigeante locale plutôt qu’à la paysannerie.
Les spécialistes du cycle original de Robin des Bois ou des ballades liées aux
cangaçeiros
brésiliens du XX e siècle soulignent ainsi le peu d’intérêt dont
témoignent ces productions pour les aspirations de la paysannerie, pourtant
censée former leur base sociale [177] .
De même, il est évident que les homicides à cause desquels de nombreux jeunes
gens passent du mauvais côté de la loi sont le plus souvent le fruit d’affrontements
entre des clans ou des familles politiques, autrement dit de rivalités internes
aux familles localement influentes. Mais la thèse de
Bandits
, qui n’ignore pas l’existence
des voleurs gentilshommes ni des rivalités politiques locales, n’est pas qu’il
faut considérer le brigandage dans son ensemble comme une manifestation du
mécontentement paysan (ce que Blok décrit correctement comme « la vulgarisation
très répandue du modèle de Hobsbawm »), et moins encore que les voleurs ne
sont utiles qu’aux paysans. L’un des éléments essentiels du mythe, qu’il s’agisse
du chevalier errant héroïque, de préférence altruiste et redresseur de torts, du
spadassin (comme les samouraïs dans l’épopée de Kurosawa), ou du pistolero (comme
dans les Westerns),
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