Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
vraiment trop. Je travaillais en équipe, souvent de 16 heures à minuit. Et la dame trouvait mes allées et venues pénibles.
Le système rigide du travail en équipe en vigueur au Park posait problème dans de nombreux foyers. Mettez-vous à la place de la famille qui vous héberge, parfois avec des enfants en bas âge. Votre locataire rentre bien après minuit ou seulement à 8 heures du matin pour dormir toute la journée. Ajoutez à cela qu’il lui faut boire et manger. Dans une modeste maison exiguë, il n’est pas simple de répondre à ce genre d’exigence à toute heure du jour et de la nuit.
Sheila Lawn se souvient de son dernier logement : « C’était un logement très simple, avec des toilettes extérieures, comme dans la plupart des maisons, mais les gens étaient très agréables et ne me posaient jamais de question. Ils avaient une fille de 15 ans. Mais ils étaient tous très gentils avec moi. Je suis restée avec eux les dix-huit derniers mois de la guerre. »
Pour une autre compatriote écossaise, Irene Young, la vie chez l’habitant fut plus éprouvante. Cela a même été un choc à certains égards. Sa logeuse, une certaine Mme Webster, avait un « nez pointu », une « bouche mince » et portait toujours « un tablier ». La vie dans sa petite maison était aussi spartiate que celle de Sheila Lawn. « Les WC étaient à l’extérieur, écrit Irene, et je me surprenais à sourire quand, après être sortie sans bruit par une nuit glaciale pour aller “au petit coin”, je m’asseyais face à un calendrier accroché au mur montrant la photo d’“un havre de paix ensoleillé” ».
Et, comme si cela ne suffisait pas, la vie à l’intérieur ressemblait à un roman de Dickens :
J’avais ma chambre mais, comme le fuel était rationné, elle n’était pas chauffée. Pendant mon temps libre, j’étais donc contrainte de rester en compagnie de M. et Mme Webster. Le mari était gentil, volontiers dominé par sa femme, fort habile. Je trouvais toujours mon lit disposé selon un certain angle par rapport au mur. J’avais beau le remettre systématiquement droit, on me le replaçait toujours dans cette position étrange. Mme Webster a fini par m’expliquer qu’avant moi elle avait hébergé un enfant évacué qui avait « respiré contre le mur » et qu’elle ne voulait pas que j’en fasse autant.
Pour le capitaine Jerry Roberts, qui rejoignit le Park plus tard pour travailler sur la machine Colossus, successeur de la bombe d’Alan Turing, la vie chez l’habitant limitait sa vie amoureuse à des activités solitaires : « Difficile d’avoir une vie sociale. Je disposais de la moitié de la maison, qui comptait deux chambres. M. et Mme Wells en occupaient une et moi l’autre. Il y avait deux salons. Ils avaient la cuisine, si vous préférez, et moi le petit salon, qu’ils n’auraient jamais utilisé en temps normal car ils vivaient de toute façon dans la cuisine. Dans ce genre de situation, difficile d’avoir une vie amoureuse. Je dois dire que ça ne me contrariait pas outre mesure à l’époque. »
En mars 1940, les autorités de Bletchley Park se sentirent obligées d’envoyer une note en forme d’avertissement sur le thème du logement :
Le propriétaire fournit des équipements seulement s’il le souhaite et il n’est pas censé offrir plus que le petit déjeuner, le dîner, de quoi dormir et ce qu’il faut pour rester propre.
Par exemple, il n’est pas obligé d’offrir des bains, un feu de cheminée ou de permettre au personnel d’utiliser le salon de la maison. Les personnes hébergées n’ont pas non plus à exiger que leur chambre soit nettoyée, leur lit fait, etc.
En fait, nombre de propriétaires offrent ces équipements sans contrepartie financière supplémentaire. Il incombe donc aux personnes hébergées de faire leur possible pour que le propriétaire sente bien que sa coopération ne va pas de soi et est appréciée à sa juste valeur.
Cette note était peut-être particulièrement destinée aux élites habituées au grand monde et débarquant dans cette petite ville. Un ancien se souvient avec jubilation des privations dont souffraient les débutantes, ces pin-up de la haute société recrutées grâce à leurs relations familiales et qui se retrouvaient soudain à vivre dans de petites maisons oppressantes près d’une voie ferrée, « où les occupants stockaient leur charbon dans la
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