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Les champs de bataille

Les champs de bataille

Titel: Les champs de bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Dan Franck
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nous !
    — Et les socialistes ?
    — Pareils en plus clairs. »
    Oubliant où il se trouve, Hardy se lève, se campe, debout, face au magistrat, et dit, la voix vibrante :
    « Vous savez ce qu’il faisait votre Jean Moulin pendant la guerre d’Espagne ? Il était le chef de cabinet du ministre de l’Air, un coco, et il recevait dans son bureau les pilotes volontaires pour l’Espagne ! Il les envoyait là-bas ! Comme Malraux ! Sauf que Malraux a mieux tourné.
    — Vous avez raison, réplique le juge avec froideur. Malraux a eu la chance de mourir beaucoup plus tard.
    — Moulin ne serait pas devenu gaulliste. Un pur stalinien ! Il nous aurait pourri l’existence ! En 43, il faisait déjà le lit des Soviets ! Vous imaginez ce qui se serait passé s’il avait vécu ? Lui seul avait la force et la légitimité nécessaires pour s’opposer à de Gaulle. On aurait eu un nouveau front populaire en 45 !
    — Nous sommes d’accord sur un point, dit le juge en repliant ses dossiers : on a eu beau l’appeler au Panthéon, le planter au côté du général de Gaulle, donner son nom à dix mille avenues en France, Jean Moulin était un homme de gauche. »
    Il ajoute avant de poser son stylo :
    « Le dissimuler est une offense à sa mémoire. »
    Il fouille dans ses dossiers, cherche un document qu’il finit par retrouver. C’est une lettre écrite par Max, envoyée au général de Gaulle le 7 mai 1943. Il en lit un extrait :
    «  Un tract signé Combat a été récemment diffusé à des milliers d’exemplaires invitant les candidats à la déportation à lutter contre l’hitlérisme et le marxisme, ce qui n’a pas manqué de soulever les protestations des communistes et des socialistes.  »
    Il replie le document et demande :
    « Qu’en pensez-vous ?
    — Du bien ! sourit Hardy. Je crois que nous étions en avance sur l’Histoire. »

 
    Dans la vraie vie, c’est-à-dire aujourd’hui, à une table de bistrot plutôt que derrière un bureau d’instruction, René Hardy tiendrait les mêmes propos. Il les proférait encore quelques années avant sa mort, vivant sous une Union de la gauche qui le révoltait. S’il avait eu vingt ans, lui et les anciens camelots, cagoulards et fascistes de tout poil qui constituaient son entourage sous l’Occupation se fussent retrouvés place des Pyramides, devant la statue de Jeanne d’Arc où l’extrême droite s’assemble chaque année. Ils auraient défilé chaque 9 mai à proximité de la rue des Chartreux en mémoire d’un des leurs tombé d’un toit en 1994. Une année, le juge a croisé ce défilé aux flambeaux suivi par quelques centaines de jeunes garçons en noir, certains portant des capuches style Ku Klux Klan, d’autres des casques, chantant martialement des airs militaires et nationalistes.Il les a revus place Saint-Sulpice, bras levés à l’hitlérienne, hurlant des slogans exaltant la jeunesse et fustigeant la racaille. Le juge n’a pas eu besoin de regarder dans le rétroviseur de l’Histoire pour comprendre à quelles images pénibles celle-ci se rapportait. Lorsque s’y réunissaient les ligues et les Croix-de-Feu, la place Saint-Sulpice, dans les années 30, devait ressembler à ce qu’elle était ce jour-là. On y beuglait des propos antisémites tout comme on hurle des vociférations racistes quatre-vingts ans plus tard. D’une époque l’autre, l’accusation reste la même, et l’étranger le premier bouc émissaire : ils prennent, l’argent jadis, le travail aujourd’hui. Poncé pour la forme, le discours ne varie qu’en surface. Ils s’agenouillent toujours devant Jeanne d’Arc, et la démocratie reste une ploutocratie. Il n’y a plus ni droite ni gauche, disent-ils, puisqu’ils sont tous les mêmes. Il n’y a pas de centre non plus, celui-ci finissant toujours par se diluer dans l’un des deux anciens blocs. Il y a surtout Nous, les valeureux. Qui voulons le renouveau de la France, protégeons les nationaux, vantons le travail, la famille, la patrie. Vichy.
    Le poison instillé, songe le juge, vise à remplacer la verticalité par l’horizontalité. Plus de droite, plus de gauche, mais une ligne qui traverse les idéologies dites anciennes pour leursubstituer une nouvelle grille de lecture. Il y aurait les libéraux et les antilibéraux, les mondialistes et les antimondialistes. Rien d’autre. Le juge ne s’y retrouve pas. Il n’irait pas plus manifester contre la mondialisation au

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