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Les champs de bataille

Les champs de bataille

Titel: Les champs de bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Dan Franck
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vu ?
    — Personne.
    — Barrès », rétorque le juge.
    Hardy ne répond pas. Donc, il ne conteste pas. Le juge note ce point sur une feuille volante. Il y reviendra plus tard.
    « A part Barrès ?
    — Personne… Personne avant Nîmes. Lorsque je suis revenu… »
    Le juge le coupe aussitôt :
    « Pourquoi êtes-vous revenu ? Je vous repose la question : pourquoi n’avez-vous pas fui ? »
    Il se lève. Il se campe devant Hardy, le dominant de toute sa taille.
    « Je veux une réponse.
    — Je n’ai rien à dire », marmonne l’inculpé.
    Il se ronge un ongle. Il tremble légèrement, comme le premier jour, lorsqu’il dormait dans le bureau. Par un chemin déductif assez simple, le juge croit savoir quels furent les termes de l’échange entre Klaus Barbie et son prisonnier. Mais il n’a pas de certitude. Il ne peut rien avancer encore. Il se fait une idée assezprécise de la rencontre entre les deux hommes à l’Ecole de santé militaire. Elle s’est tenue dans un bureau plus grand que celui du cabinet d’instruction. Il n’y avait pas de greffier mais une secrétaire. Peut-être, d’ailleurs, le nazi l’a-t-il congédiée. Pour mettre Hardy en confiance. Créer un rapport plus intime. Les deux jouaient un rôle. Le bourreau, celui d’un ennemi aimable et compréhensif ; la victime, celui d’un petit industriel naïf. Ils ont sans doute échangé quelques propos badins et consensuels sur l’état déliquescent de la France lorsque les Allemands y sont entrés, le danger communiste, l’Europe nouvelle. Hardy, crevant de trouille, jouant sa peau, habilement à l’en croire. L’autre, lui tournant autour comme un chat jouant avec une souris, sans l’égratigner cependant : Hardy n’a pas été frappé. Dans sa chambre de l’Ecole de santé militaire, on lui a apporté des repas servis avec du vin : le traitement réservé par les Allemands à leurs agents doubles. Après quelques heures d’un échange aimable, les portes se seraient largement ouvertes sur l’homme descendu du train, reconnu par Multon comme étant Didot. Sans contrepartie véritable ? Le juge ne croit pas à cette fable.
    Il retrouve sa place, de l’autre côté dubureau, et cherche une piste qui le conduirait aux termes du marché. Il demande :
    « Vous aviez une valise ?
    — Certainement, répond Hardy, marquant l’étonnement naturel d’un homme pris au dépourvu.
    — Vous ne vous en souvenez pas ?
    — Si. J’avais certainement une valise.
    — Que contenait-elle ?
    — Du linge, des affaires de toilette. Un ou deux livres…
    — Barbie l’a fouillée ? »
    A la réaction du prévenu, ses mains se crispant soudain sur ses genoux, le regard saisi d’une brusque fixité s’évaporant bientôt, le juge comprend qu’il est sur la bonne piste.
    « Je ne me souviens pas qu’il l’ait vidée. En tout cas pas devant moi.
    — Cette valise contenait-elle des photos ?
    — De qui voulez-vous ?
    — Vous le savez bien. »
    Hardy lève sur le juge un œil soupçonneux.
    « Précisez.
    — Je reviens », dit le juge.
    Il quitte le bureau. Cinq minutes plus tard, il est de retour. Il tient un journal à la main. Il le dépose devant Hardy. En première page, sur cinq colonnes, s’étale le portrait d’une jeune femmed’à peine vingt-cinq ans, grande, brune, très belle ; ses yeux noirs, immenses et magnifiques, fixent le lecteur avec une puissance envoûtante.
    « C’est le journal du jour, commente sobrement le juge. Paru ce matin. »
    Il laisse Hardy découvrir le titre – La Mata-Hari de la Résistance –, puis la première page et les suivantes. Il lit comme un homme affamé, penché sur le journal, suivant les lignes du doigt pour être sûr de n’en perdre aucune. Il ne se soucie plus ni de l’endroit où il se trouve, ni de qui l’observe. Il est totalement absorbé dans sa lecture. Rien ne l’en distraira.
    Le juge se tourne vers le greffier et dit :
    « Lydie Bastien. Elle est arrivée ce matin. »
    Elle venait de Suisse. Les journalistes l’attendaient gare de Lyon. Des inspecteurs de la Sûreté l’avaient interceptée à la gare de Laroche-Migennes. Ils la firent descendre du train et l’embarquèrent pour Paris dans une voiture banalisée. Le but n’était pas de l’arrêter mais de la protéger de la curiosité du public. Lydie Bastien avait fait sensation lors du premier procès de son fiancé, René Hardy. On la soupçonnait de connaître tous

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