Les chevaliers du royaume
cour du château. Ils se battaient avec sang-froid, certains tenant deux grands boucliers derrière lesquels un camarade armé d’un arc décochait une volée de flèches. Leur objectif était la salle principale. Ils s’y rendaient au pas de charge, s’efforçant de se mouvoir en un corps compact.
Pour s’encourager, ils se communiquaient le nombre d’adversaires qu’ils avaient abattus et la position de ceux qui les remplaçaient ; et c’étaient des essaims de chiffres, des « Trois ! », des « Quatre ! », suivis de « Gardez-vous à gauche ! », « Gardez-vous à droite ! », qui volaient dans l’air comme autant de traits. Ces paroles les galvanisaient, et Tughril abattait son épée à grands coups redoublés sur les heaumes des Templiers, fendant les crânes, crevant les bassinets, perçant les hauberts et faussant les écus.
Ils traversèrent la grande salle en y laissant bon nombré des leurs, et gagnèrent la barbacane. Une fois dans la pièce qui commandait aux herses, ils s’aperçurent avec horreur que celles-ci étaient déjà ouvertes. Ils avaient voulu se ménager une issue : les Templiers avaient permis à leurs compagnons restés à l’extérieur d’entrer !
Regroupant leurs forces, sans perdre courage, les hommes de Taqi bloquèrent les chaînes des herses en position haute, et se taillèrent à l’aide de leurs armes un chemin de retour.
Peu d’entre eux survivraient, ils le savaient. Cela ne les empêchait pas de se battre héroïquement, car ils s’étaient préparés à mourir en martyrs, pour qui, ainsi que le disait le Prophète : « Le coup d’une arme est moins redoutable que la piqûre d’une fourmi ; et plus désirable que l’eau douce et fraîche par un brûlant jour d’été. »
C’est pourquoi, quand ils virent s’avancer vers eux le terrible Renaud de Châtillon, monté sur Sang-dragon, beaucoup se ruèrent au combat en pensant au démon. Sa présence était à la fois insolite et horrible. Tughril le premier se jeta sur lui, mais Renaud le tua d’un puissant coup d’épée, fendant à la fois son bouclier et son bras, avant de le trancher en deux.
— De la part de Sohrawardi ! lança-t-il, en passant à un autre adversaire.
Morgennes avait noué un morceau de keffieh autour du bras de Taqi, dont l’état s’était enfin stabilisé. Puis une vigoureuse paire de gifles assénée par Cassiopée aida son cousin à sortir du coma. Taqi les regarda, sans comprendre.
Ils lui expliquèrent alors ce qui s’était passé. Chacun brûlait de poser des questions aux deux autres, mais ils n’en avaient pas le temps. Les trois complices avaient décidé de sortir des cachots, et d’aller prêter main-forte à leurs camarades. Ensuite, ils interrogeraient Simon : « Qui étaient ces fameux Templiers blancs ? Pourquoi Wash el-Rafid combattait-il avec eux ? Et comment se faisait-il que Châtillon fût encore en vie ?… » Quand ils furent prêts, ils sortirent des oubliettes, sous le regard inquiet de Simon – qui craignait plus pour Cassiopée que pour sa propre vie.
La cour du château avait des allures de fin des temps.
Là, le cadavre d’un cheval rappelait à Morgennes le champ de bataille de Hattin. Ici, les corps de soldats du Yazak et de Templiers, à croix rouge et manteau blanc pour la plupart, étaient si étroitement mêlés qu’on ne pouvait les séparer. Sondant les ténèbres à la lumière de leur torche, Taqi, Morgennes et Cassiopée voulaient chacun quelque chose de différent.
Taqi était à la recherche de Terrible et de survivants du Yazak, tandis que Morgennes ne pensait qu’à Crucifère et à la Vraie Croix. Cassiopée, elle, était aux aguets. Elle scrutait le ciel en quête de son faucon, tout en fouillant les moindres recoins d’ombre afin de s’assurer qu’aucun ennemi ne s’y cachait.
Mais on ne voyait nulle trace de tout cela.
— Nous devrions aller jeter un coup d’œil dans la salle principale, proposa Cassiopée.
Les deux hommes l’approuvèrent. Alors qu’ils se dirigeaient vers l’escalier, ils entendirent un hennissement derrière eux.
— Terrible !
Taqi devint aussi pâle qu’un fantôme.
La malheureuse jument s’empêtrait les jambes dans ses entrailles. Elle avait, en se déplaçant, des sortes de maladresses qui faisaient peine à voir. Apercevant Taqi de là où elle s’était couchée pour mourir, elle s’était levée pour aller vers lui. Mais leurs retrouvailles
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