Les cochons d'argent
enfants après les fêtes saturnales, mais j’imaginais bien l’ambiance qui devait régner en ces lieux l’été, quand ils se trouvaient là. Je me serais bien vu couler de longues heures paisibles dans une demeure pareille. Exactement le genre de maison que j’envisageais d’acquérir un jour.
Pour se changer les idées, Gaïus se rendit plusieurs fois à Durnovaria où il jouait les juges de paix locaux. Son irritante nièce se trouvait aussi dans la villa, mais elle se tenait à l’écart. Si je l’avais appréciée davantage, j’aurais sans nul doute attribué son comportement à la timidité ; comme ce n’était pas, loin s’en faut, le cas, je la considérais asociale. Comme elle n’avait pas regagné Londinium et sa vie confortable avec Aelia Camilla, peut-être envisageait-elle de rentrer à Rome. À mon grand bonheur, les modalités de ce retour demeuraient dans un flou total.
Je me plaisais dans ce cadre accueillant. Le jour, je lisais, j’écrivais mon courrier, ou je clopinais autour de la propriété. Le personnel, charmant, était aux petits soins – on s’y faisait très bien… Chaque soir, je conversais plaisamment avec mon hôte. Même au fin fond de la Bretagne, j’avais trouvé la vie rêvée de tout Romain. Je n’avais vraiment aucune envie de trouver l’énergie de partir.
Un jour – il pleuvait tellement que Gaïus n’avait pu sortir infliger quelques amendes aux Celtes, voleurs de bétail – mon hôte vint me chercher.
— Rufrius Vitalis m’a demandé de vous parler. Si je comprends bien, vous lui aviez promis son retour vers Rome, comme valet de pied d’Helena…
— Ne me dites rien… Il ne veut plus y aller ?
— Je suis en partie responsable, fit Gaïus en souriant. Il m’a fait une excellente impression. J’ai proposé de le prendre à la mine comme contrôleur officiel, pour y démêler tous les abus de procédures.
— C’est un bon choix, il ne vous décevra pas. Et puis, ajoutai-je l’œil taquin, je crois qu’il aurait du mal à se séparer de sa petite caille, une certaine Truforna !
Le procureur sourit avec son habituelle délicatesse, préférant ne pas se mêler de la vie privée d’autrui. Il fit remarquer ensuite qu’en l’absence de Vitalis, un autre devrait escorter Helena…
— Elle vous a parlé, Falco ?
— Nous ne nous parlons pas. Elle me prend pour une ordure.
Il parut peiné.
— Je suis certain que vous faites erreur. Helena Justina est bien consciente de tout ce que vous avez accompli. Elle était profondément émue de vous tirer de la mine dans un tel état…
— Laissez tomber, je me suis fait une raison !
Allongé sur une couche, je faisais bon usage d’une coupe de poires d’hiver que l’économe de la ferme avait soigneusement sélectionnées pour moi dans le cellier. J’en profitai pour poser quelques questions.
— Votre nièce m’a l’air au bout du rouleau, pour dire les choses poliment.
Flavius Hilaris me lança un regard sévère. J’ajoutai, sur un ton plus mesuré :
— Peu m’importent les ragots. Mais si je dois l’accompagner, cela m’aiderait de savoir ce qui ne va pas.
— Cela se défend, reconnut-il en homme raisonnable. Bien. Quand elle est arrivée après son divorce, nous l’avons trouvée déprimée, dans un certain désarroi. Je pense qu’elle doit encore s’en ressentir, mais qu’elle le cache mieux.
— Je peux savoir ce qui s’est passé ?
— Je ne connais que les on-dit. Le couple n’aurait jamais été très lié. Son oncle Publius, le frère de ma femme, connaissait le jeune homme ; c’est lui qui avait suggéré cette union au père d’Helena. Dans une lettre qu’elle écrivit à l’époque à mon épouse, Helena décrivait son futur mari comme un honorable sénateur, aux manières irréprochables.
— Plutôt froid !
— Tout à fait. Aelia Camilla trouva une telle réserve inconvenante.
— Malgré tout, cela vaut mieux que d’être bercée d’illusions !
— Peut-être. Helena n’avait sans doute jamais escompté rencontrer l’âme sœur, mais elle finit par comprendre que la position sociale et les bonnes manières ne lui suffisaient pas. Elle m’a avoué récemment qu’elle aurait préféré qu’il se mette les doigts dans le nez et pelote les servantes, pourvu qu’il lui parle.
Nous avons souri tous les deux, non sans compassion. Si j’avais eu le moindre goût pour les femmes dotées d’un solide sens de
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