Les cochons d'argent
l’humour, une fille capable de sortir ça aurait eu toutes les chances de me séduire.
— Alors je me suis trompé, Gaïus ? C’est lui qui a demandé le divorce ?
— Non, dès qu’elle a compris leur incompatibilité d’humeur, Helena Justina a rédigé elle-même la demande de divorce.
— Ah !… Elle n’est pas du genre à ménager les apparences !
— Non, mais elle est sensible – vous voyez le résultat !
Je sentais bien que le procureur avait quelque chose sur la conscience pour s’être livré aussi librement. Je préférai ne pas m’étendre sur le sujet.
Lorsque Gaïus se rendit à nouveau en ville, je décidai de l’accompagner. J’en profitai pour acheter vingt gobelets en étain, fabriqués dans la région à partir d’un alliage de plomb et de fer.
— Des souvenirs pour mes neveux et nièces. Et quelques cuillères à bouillie en argent, pour les nouveaux membres de la famille que mes sœurs ne manqueront pas de me présenter à mon retour.
— Les Gaulois n’auront aucun mal à vous entendre arriver ! se moqua Gaïus.
Il est vrai que les gobelets tintaient joyeusement.
J’avais du mal à songer sérieusement au retour.
Comme il se doit en Bretagne, Helena Justina eut un rhume tenace pendant tout notre séjour à Durnovaria. Elle resta enfermée dans sa chambre, le visage plongé dans les vapeurs dégagées par un bol d’huile de pin bouillante ; j’en aurais presque oublié sa présence. Dès qu’elle émergeait, elle filait dans sa carriole, ce qui éveillait ma curiosité. Elle s’absentait toute la journée. Je savais bien qu’elle ne faisait pas de courses – comme je l’avais découvert moi-même, il n’y avait pas grand-chose à acheter… Lorsque mon ami le régisseur m’apporta une assiette de poireaux – et venant d’une famille de paysans, j’adorais les poireaux – dans une sauce au vin pour tenter mon appétit qui allait croissant, je lui demandai où elle était partie. Il n’en savait rien, mais il me taquina à propos de mes réticences bien connues à voyager avec elle.
— Elle n’est pas si féroce que ça ! lança-t-il.
— Comparés à l’honorable Helena Justina, dis-je calmement en enfournant mes poireaux avec un coup de fourchette qui aurait fait honneur à mon grand-père cultivateur, les serpents de la Méduse ne valent guère mieux qu’une poignée de vers pour la pêche !
Helena Justina choisit cet instant pour débarquer dans la pièce.
Elle m’ignora, ce qui n’avait rien d’étonnant. Elle avait l’air troublée, ce qui l’était davantage. J’étais sûr qu’elle m’avait entendu.
Comme je pouvais le craindre, le régisseur ne tarda pas à s’éclipser. Allongé sur ma couche, je m’enfonçai un peu plus dans les coussins à franges, et attendis l’inévitable déferlement.
Helena avait choisi une chaise très élégante ; elle cala ses pieds sur le repose-pied, et posa ses mains sur ses cuisses. Elle portait une robe grise plutôt terne, et un collier de valeur avec des perles tubulaires en agate, dans des tons rouges et marron. Elle parut un instant perdue dans de graves pensées. Je remarquai quelque chose qui m’avait échappé : quand elle ne se moquait pas de moi, la fille du sénateur savait adoucir les traits de son visage. À tout autre, elle serait apparue pensive, calme, réservée… une jeune fille bien élevée qui rougissait en présence d’un homme sans pour autant refuser la conversation.
— On se sent mieux, Falco ? demanda-t-elle, un brin ironique.
J’étais toujours allongé, l’air aussi pâle. Le regard froid, elle me prit de court en changeant brusquement de sujet.
— Qu’écrivez-vous ?
— Rien d’intéressant.
— Ne faites pas l’enfant, je sais que vous écrivez des poèmes !
D’un geste théâtral, je brandis ma tablette de cire. Elle sauta de sa chaise et s’approcha pour voir. La tablette était vierge. Je n’écrivais plus de poèmes. Je ne me sentais nullement tenu de lui expliquer pourquoi.
Décontenancé moi-même, je me hasardai à lui dire :
— Votre oncle m’apprend que vous êtes sur le point de quitter la Bretagne… ?
— Je n’ai pas le choix, fit-elle entre les dents. Oncle Gaïus insiste pour que je prenne la chaise de poste impériale avec vous.
— Libre à vous de prendre la chaise, dis-je.
— Vous ne voulez donc pas m’accompagner ?
— Me l’avez-vous demandé ? fis-je avec un léger
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