Les compagnons de la branche rouge
toute la province, celui-ci s’appelait Ailbé, et
sa renommée était si grande qu’on racontait ses exploits partout en Irlande.
Or, il advint qu’Ailill et Maeve, qui tenaient la royauté de
Connaught, eurent fantaisie de l’acquérir, moyennant une honnête compensation. Et,
dans ce but, ils dépêchèrent vers Mac Dathô des messagers chargés de lui
exposer leurs propositions.
Le hasard voulut qu’à Émain Macha le même désir eût saisi
Conor, fils de Ness, qui, de son côté, dépêcha des émissaires vers Mac Dathô
pour lui proposer de grands avantages s’il daignait consentir à se séparer de
son chien. Tant et si bien que ses envoyés arrivèrent en même temps que ceux d’Ailill
et de Maeve.
Mac Dathô et les hommes de Leinster firent bon accueil aux
uns et aux autres, que l’on conduisit tous à la maison des hôtes. Cet hôtel
était le sixième que possédât l’Irlande, en ce temps-là. Les cinq autres
étaient celui de Da Derga, celui de Forgall le Rusé, celui de Mac Maré, celui
de Da Choca et, enfin, celui de Blai Bliuga en Ulster. L’hôtel de Mac Dathô avait
sept portes, auxquelles aboutissaient sept chemins. Il contenait sept foyers et
sept chaudrons [67] qui contenaient chacun un bœuf et un cochon. Quiconque arrivait à l’hôtel de
Mac Dathô pouvait planter sa fourchette [68] dans l’un des chaudrons,
et, quelque morceau qu’il attrapât du premier coup, il n’avait cure de
recommencer, car il se trouvait rassasié.
Ensuite, on introduisit successivement les deux légations
dans la chambre de Mac Dathô. Ainsi furent d’abord admis les messagers d’Ailill
et de Maeve et, dans leur hâte d’apprendre avant le festin ce que déciderait
leur hôte, ils présentèrent leur requête.
« Grand roi, dirent-ils, c’est pour te demander ton
chien de la part d’Ailill et de Maeve que nous sommes venus. Si tu acceptes, on
te donnera sur-le-champ soixante vaches laitières, un char attelé des deux
meilleurs chevaux de tout le Connaught, et tu obtiendras les mêmes présents au
bout d’un an. »
Mac Dathô répondit qu’il examinerait la proposition et les
aviserait plus tard de sa décision. Sur ce, il les invita à se rendre dans la
salle du festin, et après leur départ, il manda les messagers d’Ulster.
« C’est pour te demander ton chien que nous sommes
venus, dirent-ils, de la part de Conor. Tu sais avec quelle loyauté il
reconnaît les faveurs qu’on lui accorde. Il est riche, puissant, généreux, et
il te donnera des objets précieux et du bétail en abondance si tu acceptes de
lui céder Ailbé. Au surplus, tu recevras les mêmes présents à la fin de l’année,
et il en résultera une bonne amitié entre tes vassaux et ceux du roi Conor. »
Mac Dathô leur fit la même réponse qu’aux envoyés de
Connaught, et il les invita à se rendre à la salle du festin pour y manger et y
boire à leur guise aussi longtemps qu’ils auraient faim et soif. Alors, ils
prirent congé de lui et rejoignirent ses autres hôtes.
Une fois seul, Mac Dathô demeura dans un profond silence qui
dura trois jours. Et durant tout ce temps, il resta sans boire, sans manger, sans
même pouvoir dormir, tant il était agité et se tournait sans cesse d’un côté sur
l’autre.
« Voilà bien longtemps que tu jeûnes, lui dit enfin sa
femme. Tu as de la nourriture à profusion et tu n’en manges pas. Il me semble
que tu n’es pas dans ton état normal. Qu’as-tu donc ? »
Mac Dathô ne répondit pas.
« Vraiment, reprit la femme, il faut que tu sois bien
malade, fils de Dathô, pour que l’insomnie soit ainsi tombée sur toi dans ta
demeure. Je sais que tu es tourmenté par une affaire, mais que tu ne veux en
parler à personne. Tu n’arrêtes pas de te tourner et retourner, tu me fuis, sans
même faire cas de mon inquiétude. – Un sage d’autrefois, répondit alors Mac
Dathô, a dit qu’il ne fallait pas confier un secret aux femmes, car secret de
femme n’est jamais bien caché. – Cependant, répliqua-t-elle, ce qui ne te vient
pas à l’esprit peut venir à l’esprit d’un autre. Tu ferais mieux de me parler. »
Mac Dathô soupira longuement, puis il finit par dire :
« Eh bien, voici : c’est à propos de mon chien Ailbé. Je crains que
ce jour ne soit un mauvais jour pour lui comme pour nous, car beaucoup d’hommes
mourront à cause de lui au milieu des combats. Hélas ! oui, je crains fort
qu’ils ne soient fort nombreux à périr
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