Les compagnons de la branche rouge
avant
tout, il faut savoir comment le partager, et lequel d’entre nous va le faire. »
Bricriu à la Langue empoisonnée se trouvait en haut de la
salle, et il avait entendu la conversation. Il ne put résister au plaisir d’intervenir.
« La question ne se pose pas, dit-il. C’est toujours le
guerrier le plus brave, celui qui a accompli le plus d’exploits, qui partage la
nourriture et qui procède comme bon lui semble. Mais, comme les guerriers qui
sont ici sont tous plus braves les uns que les autres, m’est avis qu’avant que
ce cochon ne soit partagé, chacun donnera de bons coups sur le nez de son
voisin. – Qu’il en soit ainsi, reprit Ailill, puisque ainsi le veut la coutume.
– C’est juste, ajouta Conor. De toute façon, nous avons ici de vaillants
garçons qui se sont exercés à garder la frontière et qui n’ont de leçon à
recevoir de personne. – Je crois bien que tes garçons te seront utiles ce soir,
ô Conor, répondit un vieux guerrier de Connaught, car il me souvient que, lorsqu’ils
sont venus sur mes terres, ils ont laissé nombre de bœufs gras derrière eux
avant de prendre la fuite. On en parle encore dans mon pays. »
Le roi Conor s’empourpra de colère et s’écria d’une voix
forte : « Bien plus gras était le bœuf que tu laissas chez nous, à
savoir ton propre frère, Cruachné des coteaux de Conalad, à l’ouest !… – Sans
oublier, insista Lugaid, fils de Cûroi, le grand Loth, fils de Fergus, qui
avait pourtant la réputation d’être invincible. Mais il ne valait pas mieux, à
la vérité. »
Celtchar, fils d’Uthecar, intervint à son tour :
« Vous avez grand tort, dit-il, de rappeler vos soi-disant prouesses, ô
guerriers de Connaught, car chaque fois que les Ulates vous ont combattus, on a
dénombré bien plus de cadavres de votre peuple que du nôtre, sur le terrain. Et
puisque tu parles du grand Loth, fils de Fergus, qui fut tué par Conganchness, fils
de Deda, sache qu’il ne s’est pas longtemps vanté de son exploit. Je l’ai tué
moi-même deux jours après, et j’ai rapporté sa tête à Émain Macha. Aussi, Lugaid,
je crois que tu ferais mieux de te taire ».
Mais aucun des hommes qui se trouvaient dans la salle des
festins de Mac Dathô ne voulait se taire. Le tumulte devint indescriptible, chaque
guerrier voulant prouver qu’il était le seul digne de partager le cochon. Mais,
finalement, un seul réussit à hurler plus fort que les autres et à obliger les
hommes d’Irlande à lui céder la place. C’était Cêt, fils de Maga, frère de Ness,
qui était le champion d’Ailill et de Maeve.
Les Ulates firent donc le silence. Quant à Conor, il était
fort désappointé [69] .
« Ô Loegairé, dit-il, tu vois où nous en sommes !
– Certes, répondit Loegairé, il est déshonorant pour nous que ce maudit Cêt
partage le cochon à notre nez et à notre barbe. Je ne le supporterai pas un
instant de plus. »
Il se leva et s’avança vers Cêt, fils de Maga, qui, installé
près du cochon, brandissait son grand couteau d’un air menaçant, tout en s’efforçant
de narguer les Ulates. Loegairé prétendit le bousculer et prendre sa place.
« Attends un peu, Loegairé ! s’écria Cêt. Il faut
d’abord que je te parle. C’est l’usage chez vous, en Ulster, que chaque garçon
qui prend ses armes pour la première fois s’en aille faire une expédition chez
nous, en Connaught. Tel est son premier objectif. Toi-même, ô Loegairé, lorsque
tu as atteint l’âge de porter les armes, tu es venu à la frontière et nous nous
y sommes rencontrés. Notre combat, ce jour-là, n’a guère duré, souviens-toi !
Tu laissas ton char et tes chevaux et t’enfuis avec un javelot à travers le
corps. Il est donc plutôt déplacé que tu réclames la faveur de partager le
cochon… »
Loegairé n’insista pas et, d’un air contrit, revint s’asseoir
auprès du roi Conor. Alors, l’un des guerriers ulates, grand et fort, se leva
et s’avança vers Cêt, fils de Maga.
« Je prétends, cria-t-il d’une voix puissante, qu’il n’appartient
pas au fils de Maga de partager le cochon ! À moi de m’en charger. – Qui
est donc cet homme ? demanda Cêt à ceux qui se trouvaient près de lui. – Un
meilleur guerrier que toi, lui répondit-on. C’est Angus, fils de Main-de-Danger
d’Ulster. – Pourquoi appelle-t-on ton père Main-de-Danger ? l’apostropha
néanmoins Cêt. Non, ne dis rien, je le sais très bien. Une
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