Les compagnons de la branche rouge
ainsi… – Comment cela ? demanda la
femme. – Je vais te le dire. Ailbé m’a été demandé simultanément par le roi
Conor et par le roi Ailill et la reine Maeve. Si ce n’est à Conor que je le
donne, il est certain que la colère des Ulates sera rude : leurs troupes
ne nous laisseront guère de vaches ni de moissons dans nos champs. Mais si c’est
à Ailill que je le refuse, les choses n’en vaudront pas mieux, car le Connaught
a un redoutable champion, Cêt, fils de Maga. Il est cruel, impitoyable, et
capable de soulever l’Irlande entière contre nous. Aucune plaine où il aura
passé ne sera exempte de cendres… – Dans ce cas, dit la femme, je vais te
donner un conseil qui ne nous sera pas préjudiciable : donne-leur le chien
à tous deux, et s’ils se le disputent, si des guerriers tombent pour sa
possession, nous n’y serons pour rien, puisque le chien ne t’appartiendra plus.
– Femme ! s’écria Mac Dathô, le conseil que tu viens de me donner me
délivre de mon souci ! »
Là-dessus, il se leva et s’ébroua, en homme enfin délivré de
ses fatigues et de ses angoisses.
« Je fais le vœu, dit-il, que tout se passe bien, tant
pour nos hôtes que pour nous-mêmes. »
Il garda les messagers de Connaught et d’Ulster encore trois
jours et trois nuits dans son hôtel, à boire et à festoyer. Puis il fit venir à
part les messagers d’Ailill et de Maeve.
« J’ai eu un grand souci et une longue hésitation avant
de prendre une décision, leur dit-il. Maintenant, je peux vous donner ma
réponse : j’accorde Ailbé à Ailill et à Maeve. Qu’ils viennent le chercher
en grande pompe. Ils seront bien reçus. Ils auront à boire et à manger tant qu’ils
voudront et, ensuite, ils emmèneront le chien. » Après avoir longuement
remercié Mac Dathô, les messagers de Connaught se retirèrent et s’empressèrent
de retourner à Cruachan, où les attendaient Ailill et Maeve, en leur forteresse
royale. Puis Mac Dathô fit venir les messagers d’Ulster.
« Je vous ai fait attendre, leur dit-il, parce que je
ne savais quelle décision prendre. Après de longues hésitations, j’ai résolu d’accorder
Ailbé au roi Conor. Qu’il en soit fier ! Et que viennent chercher le chien
tous les braves guerriers d’Ulster ! Ils repartiront non seulement avec l’animal
mais avec des présents, et ils seront les bienvenus dans ma maison. »
Les messagers de Conor se perdirent en remerciements puis, prenant
congé de Mac Dathô, se hâtèrent de retourner à Émain Macha rapporter la bonne
nouvelle au roi Conor.
Or, le hasard fit que le même jour se présentèrent devant l’hôtel
de Mac Dathô les gens d’Ulster et ceux de Connaught. Aucun ne manquait parmi
les uns ni les autres, ceux du nord comme ceux de l’ouest, avec leurs chars
brillants, leurs chevaux rapides et leurs habits multicolores. Mac Dathô sortit
de sa maison et vint en personne les accueillir devant la porte.
« Nous ne nous étions pas préparés à vous recevoir si
nombreux ! leur dit-il. Néanmoins, bienvenue à vous tous. Entrez dans la
cour de la forteresse, et l’on vous recevra du mieux possible. »
Ils entrèrent tous dans l’hôtel dont une moitié fut dévolue
aux gens de Connaught, l’autre à ceux d’Ulster. La maison n’était pas petite. Elle
comportait sept portes, et cinquante lits tenaient d’une porte à l’autre. Au
cours du repas, toutefois, ce ne sont pas des visages amis qui se trouvèrent en
présence. Nombre des convives se querellèrent, et certains même en vinrent aux
mains. De sorte que l’on eut d’autant plus de mal à rétablir le calme que nul
ne voulait céder devant quiconque, et ce, quel que fût le motif de la dispute.
En leur honneur, on tua le cochon de Mac Dathô, lequel avait
été engraissé sept ans durant, par trois vingtaines de vaches, disait-on, en
fait, avec du poison, car de lui résulta un carnage d’hommes d’Irlande. On l’apporta
donc, traîné par quarante bœufs, tant il était lourd, ainsi que quantité d’autres
victuailles. Et Mac Dathô lui-même assurait le service.
« Je me réjouis de vous recevoir, disait-il. Vous
verrez ainsi qu’il n’existe rien de comparable, en fait de nourriture, aux
bœufs et aux porcs du Leinster. Et si ce cochon ne vous rassasie pas, j’en
ferai tuer un autre demain, à seule fin de vous complaire. – Il est bien, ce
cochon, dit simplement Conor. – Oui, dit Ailill, il est très bien. Mais,
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