Les compagnons de la branche rouge
prétentieux ? demanda Cêt. – Cuscraid,
fils de Conor, lui répondit-on. C’est un jeune homme courageux et audacieux, et
tout le monde lui reconnaît l’étoffe d’un roi, à cause de sa beauté et de son
savoir. – J’ignorais qu’il était si beau, dit Cêt, mais la beauté ne fait pas
la valeur d’un homme. C’est chez nous, en Connaught, que ce garçon voulut
accomplir son premier exploit. Il vint donc, à la tête d’une troupe nombreuse
de godelureaux d’Ulster, et nous nous rencontrâmes à la frontière. Lui et les
siens se dispersèrent fort vite en désordre pour regagner leur pays, et un
tiers de sa troupe demeura sur le terrain. Quant à lui, il revint sans pouvoir
émettre un seul mot cohérent par la bouche, car il avait reçu un javelot dans
le cou. C’est depuis ce jour qu’il bafouille et qu’on ne l’appelle plus que
Cuscraid, le Bègue de Macha. Certes, je ne me battrai jamais contre un bègue, pas
plus que contre un impuissant ou un borgne ! »
Cuscraid, le Bègue de Macha, fils du roi Conor, se rassit en
silence, tout honteux d’avoir par son imprudence jeté l’opprobre sur l’ensemble
des guerriers ulates. Cêt toisa encore ceux-ci et agita ses armes au-dessus de
sa tête. Aucun des Ulates ne bougea. Alors, Cêt reprit son couteau et l’aiguisa
soigneusement sur l’une des pierres du foyer.
Mais, au moment où il allait entamer le cochon, son couteau
vibrant dans sa main, pénétra dans la salle du festin un homme qui, d’un bond, se
retrouva près du foyer, au milieu de la salle. À la grande joie des Ulates qui
reconnurent en lui Conall Cernach [70] ,
le plus courageux et le plus téméraire de tous les compagnons de la Branche
Rouge.
« C’est l’heure du festin, dit Conall à Conor. Il
convient que ce cochon soit partagé entre nous. Qui donc doit s’en charger ?
– Hélas ! soupira Conor, celui que tu vois près de toi, Cêt, fils de Maga. »
Conall se tourna alors vers Cêt, et celui-ci lui récita un
chant de louange :
Salut, Conall, cœur de pierre,
flamme ardente et vive, éclat de glace,
cœur rouge de colère dans une poitrine de héros,
couvert de cicatrices, vainqueur au combat,
c’est ainsi que je te vois, ô fils de Finnchoem…
Conall lui répondit par un autre chant de louange :
Salut, Cêt, fils aîné de Maga, cœur de glace,
beau taureau querelleur, flot belliqueux,
illustre sera notre rencontre, ce soir,
dans cette maison de Mac Dathô,
quand éclatera le combat des héros…
Tous deux se dressaient, face à face, l’un contre l’autre, le
visage tendu et le regard farouche.
« Écarte-toi du cochon ! dit Conall. – Qu’est-ce
qui pourrait m’y obliger ? répondit Cêt. – Tu as raison, ô Cêt, reprit
Conall, de me réclamer le combat. Je te combattrai donc, je le jure, par le
dieu que jure ma tribu. Depuis que j’ai pris en main pour la première fois un
javelot, il ne m’est pas souvent arrivé de dormir sans la tête d’un homme de
Connaught sous mon épaule, et sans avoir blessé l’un de mes adversaires chaque
jour et chaque nuit. – C’est vrai, dit Cêt. Je reconnais que tu es meilleur
guerrier que moi. Il est vraiment regrettable pour moi qu’Anluan, qui est un
champion sans faille, ne se trouve pas des nôtres, aujourd’hui, car il aurait
raison de toi. Oui, c’est un malheur qu’il ne soit pas dans cette maison. – Il
y est ! » s’écria triomphalement Conall.
En disant cela, il tira de sa ceinture la tête d’Anluan et
la jeta sur la poitrine de Cêt avec tant de force qu’il lui fit jaillir un flot
de sang d’entre les lèvres. Cêt s’écarta du cochon, et Conall prit sa place
près du foyer.
« Maintenant, dit-il, que ceux qui contestent mon droit
à partager le cochon viennent se mesurer à moi ! »
Mais il ne se trouva personne parmi les hommes de Connaught
qui eût l’audace de se lever. Les Ulates lui firent alors un rempart de leurs
boucliers, car ils craignaient que leurs adversaires ne l’assaillissent tous
ensemble. Et, sur ce, Conall partagea le cochon, mais il en mit le bout de la
queue dans sa bouche jusqu’à ce qu’il eût terminé sa besogne et, ce faisant, il
la suça si bien que, quoiqu’elle représentât la charge de neuf hommes, il n’en
resta rien. Et comme il ne laissa aux hommes de Connaught que les deux jambes
sous la gorge, ceux-ci, trouvant bien maigre leur part, bondirent sur leurs
pieds. Les Ulates firent de même et,
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