Les compagnons de la branche rouge
jour.
« Oserai-je t’avertir, petit garçon, dit alors le
cocher, qu’il est temps de rentrer à Émain Macha ? Voilà longtemps qu’a
débuté la distribution des parts du festin dans la maison du roi… Et si, toi, tu
y as une place réservée entre les genoux de Conor, la mienne se trouve entre
les messagers et les jongleurs. Aussi me faut-il maintenant retourner partager
leur repas. »
Mais, sans lui prêter la moindre attention, le petit garçon
scrutait l’horizon, tout autour.
« Dis-moi, Ibar, demanda-t-il enfin, comment se nomme
la hauteur que je vois là-bas, vers le nord ? – La montagne de Moduirn, grommela
le cocher. – Et ce tertre blanc sur son faîte ? – Le Tertre Blanc de la
montagne de Moduirn. – Il est bien joli ! s’extasia le petit garçon. – Certes,
répondit Ibar, le crépuscule l’illumine. – Mène-nous donc à ce tertre, ô Ibar, demanda
Couhoulinn. – Décidément…, tu es insatiable ! Mais je te préviens, mon
garçon, c’est la première fois que je t’accompagne, et ce sera la dernière, à
jamais, dussé-je revenir à Émain Macha. »
Ils gagnèrent néanmoins le sommet de la montagne de Moduirn.
« Eh bien, maintenant, Ibar, dit le petit garçon, montre-moi
l’Ulster tout autour de nous, car je ne me repère pas du tout dans le pays de
mon père Conor. »
Tour à tour, le cocher lui désigna alors les collines, les
montagnes et les vallées qui les environnaient, ainsi que les forteresses et
les tertres du royaume.
« Je suis heureux de voir tout cela, dit Couhoulinn, car,
auparavant, j’ignorais que le royaume de mon père Conor fût si étendu. Mais
quelle est donc cette grande plaine, avec ses recoins, ses saillants et ses vallées,
là-bas, beaucoup plus loin vers le sud ? – La plaine de Brega, répondit le
cocher. C’est le pays des hommes de Leinster. – Montre-moi donc les bâtiments
et les hauts lieux de cette plaine. »
Ibar lui indiqua donc les principaux lieux de la plaine de
Brega, notamment Tara et Tailtiu, ainsi que le tertre de Cletch, celui de
Cnogba et celui de Brug meic in Oc, enfin celui de Necht Scene [82] .
En entendant le dernier nom, le petit garçon ne put s’empêcher
de grincer des dents.
« On m’a conté, dit-il, que les fils de Necht se
targuent d’avoir tué plus d’Ulates qu’il n’en est en vie. Sont-ce ceux-là qui
résident dans ce tertre ? – Ceux-là, sans conteste, répondit le cocher. Ils
rentrent s’y cacher après chacune de leurs expéditions. – Dans ce cas, dit
Couhoulinn, voilà où je dois aller. Mène-nous donc à la forteresse des fils de
Necht. – Malheur à celui qui parle aussi inconsidérément ! s’écria Ibar. C’est
grande folie que de me proposer cela. Ira qui voudra mais, je t’assure, ce ne
sera pas moi. – Eh bien, moi, je t’assure que tu iras, vivant ou mort ! – Hélas !
soupira Ibar, je sais que j’y arriverai vivant, mais je sais aussi que j’en
repartirai mort. »
Ainsi parvinrent-ils devant la forteresse de Necht Scene, et
le petit garçon sauta du char dans la prairie. Au milieu de cette prairie se
dressait une pierre levée qu’entourait un anneau de fer et qui comportait une
inscription oghamique [83] sur son arête. Et l’inscription interdisait à quiconque entrait dans la prairie
de repartir sans avoir défié en combat singulier les occupants de la forteresse.
Après avoir déchiffré l’inscription, Couhoulinn entoura la pierre de ses bras, l’arracha
de terre, la souleva et la jeta dans l’eau de la rivière avec tant de force que
la vague en courut jusqu’à l’estuaire.
« Il me semble, dit Ibar, que cela ne change rien à la
situation. Que cette pierre se dresse à sa place ou gise au fond de la rivière,
il n’en demeure pas moins que tu trouveras dans cette prairie ce que tu
cherches, la mort et la destruction. – En attendant, répliqua l’enfant, dispose
à terre les couvertures et les housses qui sont dans le char afin que je puisse
dormir un peu. – Malheur à qui parle aussi inconsidérément ! répéta le
cocher. Tu ne te rends donc pas compte que tu te trouves en pays ennemi, et non
dans une prairie faite pour se divertir ou s’offrir un somme ? »
Néanmoins, il arrangea les couvertures et les housses et, à
peine allongé sur cette couche improvisée au beau milieu de la prairie, le
petit garçon s’endormit, tandis qu’Ibar, terrorisé, demeurait sur le qui-vive. Et,
de fait, survint bientôt Foill,
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