Les compagnons de la branche rouge
les bijoux et les trésors que t’ont donnés en paiement les
jeunes gens que tu instruis, répondit-il. À mon avis, tu leur as pris bien plus
que ne valent les conseils que tu as daigné leur fournir. – Ton impudence et
ton audace passent les bornes ! s’écria-t-elle. Sache que j’ai autour de
moi bien des guerriers plus dignes de faire cette demande que tu ne l’es
toi-même. – Ils ont essayé de me tenir tête et n’en ont même pas été capables !
répliqua Couhoulinn. Je te le répète donc, je suis parfaitement à la hauteur de
ma demande, et j’irai jusqu’au bout de ma résolution. – Que prétends-tu donc
que je fasse ? – Sors de ta maison et viens me combattre. – Assurément, je
le ferai », grommela Scatach.
Elle revêtit ses armes et sortit pour se présenter devant
Couhoulinn ; mais, à ce moment, ses deux fils, deux guerriers solides et
fortement bâtis, s’interposèrent.
« Avant de combattre notre mère, tu devras avoir raison
de nous deux, dirent-ils. – Je ne vous crains pas, répondit-il tranquillement. Attaquez-moi
tous deux, je saurai bien vous faire face. – Il n’est pas question que vous le
combattiez, intervint Scatach, car il s’agit d’une querelle entre lui et moi. Mais,
s’il le désire, et surtout s’il se soucie de respecter une femme, je lui
propose d’affronter mon champion, Cuar, que jamais personne n’a réussi à
vaincre. – S’il s’agit là d’une provocation, s’écria Couhoulinn, elle est la
bienvenue ! Je soutiendrai le combat contre ton champion. »
On le fit donc venir. Cuar était un homme horrible, monstrueux,
d’une laideur et d’une taille impressionnantes. Il se précipita sur Couhoulinn
en poussant un terrible cri de guerre, pensant ainsi l’effrayer et le réduire à
merci en quelques instants ; mais le jeune homme soutint son assaut sans
faiblir et lui rendit si bien coup pour coup que leur duel se poursuivit
longtemps, tandis que le sang éclaboussait l’herbe verte de la prairie. À bout
de souffle, enfin, le champion de Scatach ne put éviter un dernier assaut ;
l’épée de Couhoulinn lui perça la poitrine, et il s’effondra bruyamment. Alors,
Couhoulinn lui trancha la tête et vint présenter celle-ci à Scatach.
« Mon garçon, dit-elle, tu as accompli là un bel
exploit. Je ne déplore pas outre mesure la perte de mon champion, car tu viens
de donner la preuve qu’il n’était pas capable de vaincre un guerrier plein de
courage et d’audace. Mais tu es blessé, ce me semble ; viens te reposer
chez moi. Je vais t’y faire préparer un lit, de sorte que l’on te soigne et
guérisse tes plaies dans les meilleures conditions possibles. Tu seras mon hôte
aussi longtemps qu’il le faudra pour te remettre. »
On le mena donc à l’intérieur de la maison, et on lui
prépara un lit dans une chambre où il serait seul. On lava ses plaies, on les
pansa, on lui apporta des breuvages qui apaisèrent ses douleurs. Et il s’endormit,
sitôt la nuit, quand fut venue l’heure pour chacun d’aller se coucher.
Cependant, au milieu de la nuit, Uatach, fille de Scatach, se
glissa dans la chambre où Couhoulinn dormait. Il se réveilla brusquement et la
vit devant lui.
« Qu’est-ce qui t’amène à cette heure ? demanda-t-il.
– Une armée qui attaque ne risque pas d’être attaquée, répondit-elle, et voilà
pourquoi je prends les devants. Sache que je te désire et que rien ne pourra m’empêcher
de faire ce que j’ai décidé. – Mais ne sais-tu pas, ô fille, qu’il est interdit
à un homme blessé de coucher avec une femme ? »
Uatach sortit donc de la chambre et s’en retourna dans la
sienne. Mais, ne pouvant dormir, tant le désir du jeune homme la tourmentait, elle
se défit de tous ses vêtements, s’empressa de revenir auprès de Couhoulinn et, toute
nue, se glissa dans le lit. Ce dont Couhoulinn fut on ne peut plus contrarié. Il
étendit sa main valide et, à tâtons, rencontra par hasard l’un des doigts d’Uatach,
s’en saisit et le tordit violemment pour la chasser du lit mais, ce faisant, il
la blessa et la marqua rudement.
« Sois maudit pour ta faute et le mal que tu m’as causé,
spectre honteux, fantôme ratatiné ! s’écria-t-elle. Tu viens de commettre
une bien vilaine action en me blessant, quand tu pouvais me renvoyer sans me
faire de mal. – Je préfère te renvoyer ainsi pour que tu saches que je ne suis
pas disposé à me soumettre à tes caprices,
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