Les compagnons de la branche rouge
des noisetiers poussent à travers
les pierres du tertre qui la recouvre [99] .
« Mon garçon, dit Conall au cocher, prends la tête et
emporte-la, que nous l’exposions dans la Branche Sanglante à Émain Macha. »
Le cocher se pencha, attrapa la tête de Mesgegra par les
cheveux, mais il ne parvint pas à la soulever.
« Elle est trop lourde, dit-il, il m’est impossible de
la porter. – Eh bien, dit Conall, saisis ton épée et ouvre la tête. Tu y
prendras la cervelle, et tu la mélangeras à de l’argile de façon à en faire une
balle de fronde, et c’est cette dernière que nous exposerons dans la Branche
Sanglante, au milieu des dépouilles de nos ennemis. »
Ainsi fut fait et, abandonnant le crâne du roi sur le tertre
de sa femme, Conall et le cocher repartirent vers le nord et atteignirent peu
après Émain Macha. Les Ulates firent bon accueil à Conall Cernach et se
réjouirent grandement de la mort du roi Mesgegra qui leur avait causé tant d’ennuis.
Ils accrochèrent la balle de fronde faite avec sa cervelle dans la maison qu’on
appelait la Branche Sanglante, où se trouvaient réunis tous les trophées pris
sur l’ennemi. Mais il en résulta un grand malheur pour eux, car, plus tard, la
cervelle de Mesgegra devait causer la perte du roi Conor. Quant à Athirne, le
poète, il avait repris sa place au milieu de son peuple, et les cent cinquante
femmes qu’il avait ramenées de la province de Leinster l’entouraient [100] .
CHAPITRE VI
L’initiation de Couhoulinn
Lorsque Couhoulinn eut atteint l’âge de dix-sept ans, il
accompagna son oncle, le roi Conor, chez Forgall Manach, l’un des grands nobles
d’Ulster. Or, Forgall avait une fille, nommée Émer, sur qui les yeux de
Couhoulinn se portèrent avec tant d’insistance qu’il en devint passionnément
épris. Aussi lui dit-il qu’il l’épouserait volontiers, mais elle répondit qu’elle
ne suivrait jamais un homme sans l’assentiment de son père.
Alors, Couhoulinn alla trouver Conor et lui demanda ce qu’il
convenait de faire. Le roi prit Forgall à part et l’avisa que son propre neveu,
le fils de sa sœur, manifestait le désir d’épouser sa fille. Mais le père prit
fort mal la chose.
« Comment ? s’écria-t-il. Ce jeune blanc-bec a osé
lever les yeux jusqu’à ma fille ! Sache, roi Conor, que je ne la donnerai
jamais en mariage à un homme qui n’a pas encore fait ses preuves. Ton neveu est
peut-être très doué pour se contorsionner devant les Ulates, mais il n’a pas
reçu l’éducation guerrière qui convient à un champion. – Dans ce cas, que
proposes-tu ? demanda Conor. – Voici, répondit Forgall. Que ton neveu
aille suivre les enseignements des femmes-guerrières qui sont en Écosse, qu’il
s’initie auprès d’elles aux tours d’adresse et aux prouesses sans lesquels il n’est
de véritable guerrier. Et je donnerai ma réponse au sujet d’Émer lorsque, à son
retour, il prouvera son habileté. »
Et c’est ainsi que Couhoulinn partit pour l’Écosse, emmenant
avec lui deux valeureux champions, Loegairé Buadach et Conall Cernach. Aussitôt
à bord du bateau de ce dernier, tous trois cinglèrent sur les flots bleus et
vifs, sur la mer verte et grise, forte et rude, et ils finirent par atteindre
les promontoires au sommet bleuté de l’Écosse. En ce pays vivait une
femme-guerrière dont le nom était Dordmair, fille de Domnall Maeltemel, et elle
accueillait dans sa forteresse les jeunes gens qui souhaitaient s’initier aux
arts du combat.
À leur arrivée chez elle, ils reçurent un bel accueil, prirent
un bain, firent un bon repas, et dormirent dans de bons lits. Le lendemain
matin, Dordmair leur demanda ce qui les amenait ici.
« Nous sommes venus vers toi, dirent-ils, pour
apprendre les arts de la guerre, les belles prouesses et les faits d’armes
héroïques. »
Alors, elle les mena dans la prairie, devant la forteresse, et
entreprit de leur montrer des tours d’adresse. Elle se fit apporter une épée à
cinq tranchants qu’elle ficha en terre, d’un seul coup, la pointe acérée comme
un rasoir vers le haut. Puis elle sauta en l’air et retomba de façon que sa
poitrine et ses seins reposassent juste sur la pointe aiguë de l’épée, et ce
sans trouer le moins du monde ni son vêtement ni sa peau. Elle demeura ainsi un
long moment en équilibre, puis se mit à converser avec Loegairé et Conall.
« L’un de vous, dit-elle, veut-il essayer ? »
Ils
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