Les compagnons de la branche rouge
répliqua-t-il. Car tu risques
disgrâce et mépris, maintenant que te voici blessée. – Je consens à te pardonner,
insista-t-elle, sous réserve que tu me permettes de rester toute la nuit à tes
côtés. – Tu es opiniâtre, ô fille, et beaucoup trop sûre de toi. Je te le
répète, tu ne resteras pas cette nuit dans mon lit. – Écoute-moi, beau chien [102] .
Si je ne me sépare pas de toi cette nuit, je saurai t’obtenir de belles
récompenses. Je ferai en sorte que ma mère t’enseigne les trois prouesses
secrètes qu’elle est seule à connaître et qu’elle n’a jamais révélées à
personne. »
Couhoulinn le lui fit jurer et, cette nuit-là, elle obtint
tout ce qu’elle avait désiré, tant en esprit que dans son corps. Au matin, il
lui demanda :
« Maintenant, il te faut me dire comment j’obtiendrai
les récompenses que tu m’as promises. – Ce n’est pas difficile, répondit-elle. Sache
que Scatach ira tout à l’heure dans un bois converser avec les dieux. Elle sera
sans armes mais aura sous elle un panier rempli de prouesses. Si tu vas la
rejoindre, avec tes armes, et si tu la menaces, elle ne pourra rien te refuser.
Tu obtiendras les trois prouesses dont je t’ai parlé et que ma mère n’a jamais
révélées à quiconque. N’hésite pas, brandis ton épée au-dessus d’elle et
dis-lui que sa tête est le gage de ta satisfaction. »
Dans la matinée, Couhoulinn se promenait vers le Pont des
Sauts quand il aperçut Scatach qui pénétrait dans la forêt. Il la suivit
discrètement et, lorsqu’elle eut atteint une clairière, il se précipita sur
elle l’épée au poing. En voyant la lame briller dans la lumière, elle demanda :
« Qu’y a-t-il donc, petit chien ? – Je désire t’infliger mort et
destruction ! s’écria-t-il. – Tu ferais mieux de m’épargner, répliqua
posément Scatach. Si tu m’épargnes, tu obtiendras de belles récompenses. – Et
quelles sont ces récompenses ? – Celles que tu voudras me demander. – Eh
bien, voici, dit Couhoulinn. Je désire les trois prouesses secrètes que tu n’as
jamais révélées à personne, ainsi que l’amitié de tes cuisses [103] et ta fille Uatach. »
Scatach jura tout ce qu’il voulut, lui révéla les trois
prouesses, et, la nuit suivante, Couhoulinn eut la fête de la main et du lit
avec la fille, et, en plus, l’amitié des cuisses de la mère. Puis il demeura
une année entière en leur compagnie.
À la fin de l’année, il se prépara au départ, car il voulait
aller jusqu’à la forteresse d’une autre femme-guerrière, Aifé, fille d’un roi
de la Grande-Grèce. Il prit congé de Scatach et de Uatach et, cheminant seul à
travers la montagne, arriva bientôt devant la porte de la demeure où résidait
Aifé.
Celle-ci l’accueillit aimablement et amoureusement, car il
était beau et plaisait à toutes les femmes. Et, cette nuit-là, il eut la fête
de la main et du lit avec elle et resta en sa compagnie pendant une année
entière [104] ,
au terme de laquelle il s’apprêta à partir.
« En vérité, dit Aifé, c’est grande folie et grande
maladresse à toi que de t’éloigner avant d’être complètement formé en prouesses
de valeur et de bravoure. – N’en sais-je pas assez ? demanda Couhoulinn. Est-il
donc des prouesses que je ne connaisse ? – Certes, oui, répondit-elle. Je
possède le secret de trois prouesses que je n’ai jamais révélées à quiconque, et
notamment celui du gai bolga [105] qui est la meilleure prouesse du monde. Seulement, pour les apprendre, il faut
s’exercer pendant au moins un an. Reste donc avec moi cette année encore, et, si
tu les apprends, tu surpasseras tous les guerriers, jeunes et vieux, qui se
distinguent dans les batailles. – Je resterai donc », dit Couhoulinn.
Il demeura donc chez elle une année encore et, celle-ci
révolue, s’apprêta derechef à partir.
« Il n’est pas juste que tu t’en ailles, lui dit Aifé, car
je suis enceinte, et il serait convenable que tu saches quel enfant j’aurai. – Si
c’est une fille, répondit Couhoulinn, puisque toute mère a pouvoir sur sa fille,
élève-la et donne-la à l’homme que tu lui auras choisi. Mais si c’est un fils
que tu portes, nourris-le bien et enseigne-lui les prouesses de valeur et de
bravoure. Apprends-lui toutes les prouesses que tu connais, sauf le gai bolga , car, celui-là, je désire le lui enseigner moi-même
lorsqu’il viendra en Irlande me
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