Les compagnons de la branche rouge
en qui il
reconnut Findmor, l’épouse de Celtchar, fils d’Uthecar, sans autre escorte que
son cocher et quelques serviteurs.
« Tu ne commets certes pas là une bonne action, ô femme,
lui dit-il. Tu n’ignores pourtant pas qu’un interdit m’oblige à dormir avec
toute femme qui vient chez moi sans son mari. – Si tu crois que c’est de gaieté
de cœur ! répliqua Findmor. Si je n’avais été surprise par la tombée de la
nuit, je me serais volontiers dispensée de te demander l’hospitalité. – Cela n’en
est pas moins malvenu, je le répète ! insista Blai Briuga. Je suis un
vieillard, et je n’ai plus la force d’un jeune homme. – Comment ? s’écria-t-elle.
Serais-je en présence d’un homme qui ne craint pas de transgresser ses
interdits ? [129] – Je n’y songe assurément pas, répliqua Blai Briuga, mais, je te le répète, tu
commets là une mauvaise action. »
Néanmoins, cette nuit-là, il dormit avec Findmor, femme de
Celtchar, fils d’Uthecar. Mais, plus tard, averti de la chose, Celtchar se
rendit à Émain Macha et, dans la maison royale, trouva Conor en train de jouer
aux échecs avec Couhoulinn. Blai Briuga leur tenait compagnie et, penché sur l’échiquier,
suivait attentivement les progrès de la partie. Sans un mot, Celtchar l’aborda
et lui perça la poitrine d’un si violent coup de son javelot que la pointe s’en
alla ficher dans la cloison de la salle, tandis qu’une goutte de sang souillait
l’échiquier. Après quoi, comme toute l’assistance demeurait coite et pétrifiée,
il se rua vers l’extérieur et s’enfuit, laissant Blai Briuga bel et bien mort.
« À la vérité, Couhoulinn, dit enfin Conor, je ne sais
que penser ! – Et j’en suis au même point que toi, ô Conor », répondit
Couhoulinn.
Or le druide Sencha s’approcha et vit la goutte de sang sur
l’échiquier.
« Assurément, dit-il, Celtchar a commis là une lourde
faute, en ne respectant pas le droit d’asile de la maison royale, et il serait juste
que Conor lui en demande réparation. Seulement, comme le meurtre de Blai ne
constitue pas en lui-même le crime, il convient donc de déterminer qui, de
Conor ou de Couhoulinn, se trouvait le plus près de la victime quand elle a été
atteinte [130] . »
Or, après avoir mesuré la distance qui séparait la goutte de
sang des places respectives de Couhoulinn et de Conor, on s’aperçut qu’au roi
incombait la tâche de réclamer justice.
« Nous verrons cela en temps utile », dit Conor.
En attendant, on fit des lamentations et des jeux funèbres
pour Blai Briuga ; on lui bâtit un tertre de pierres et on érigea un
pilier dont l’inscription en ogham disait qui il était
et par qui il avait été tué. Puis on apprit que Celtchar, fils d’Uthecar, était
allé se réfugier chez les Daisi , c’est-à-dire chez les
gens de Munster, auprès de Cûroi, fils de Daeré.
« Il n’est pas convenable, dirent les Ulates, qu’il se
soit rendu en pays étranger. Après avoir perdu un guerrier de valeur en la
personne de Blai Briuga, allons-nous encore nous priver d’un champion tel que
Celtchar ? Il serait souhaitable qu’on le fît revenir parmi nous, quitte à
lui demander des compensations pour le crime qu’il a commis. – C’est juste, opina
Conor. Qu’on envoie quelqu’un le prier de revenir parmi nous et qu’on lui
accorde des garanties. »
Les Ulates délibérèrent et décidèrent de lui mander son
propre fils et de le lui donner pour garant. Car, à l’époque, les Ulates ne
faisaient pas retomber la faute du père sur le fils, ni la faute du fils sur le
père. Le fils de Celtchar partit donc au plus vite dans le sud retrouver son
père et l’inviter à regagner l’Ulster.
« Pourquoi es-tu venu, mon fils ? demanda Celtchar.
– Pour te permettre de rentrer dans ton pays et sur tes terres, sous ma
sauvegarde et ma protection, répondit le jeune homme. – Serais-tu, à la vérité,
mon garant ? – Certes, je le suis. Le roi Conor et tous les Ulates en sont
unanimement tombés d’accord. – Ténue est la ruse qu’emploient les Ulates à mon
égard, dit Celtchar, et, il faut l’avouer, fort habile : me faire revenir
sous la caution de mon propre fils ! »
Or, un druide de Munster qui assistait à l’entretien s’écria :
« Puisqu’il en est ainsi, Ténu sera le nom de ce jeune homme et le nom de
sa descendance. – Fort bien, dit Celtchar. Laisse-moi, mon garçon, le temps de
me
Weitere Kostenlose Bücher