Les compagnons de la branche rouge
saurait en tout cas me disputer
la première place parmi les compagnons de la Branche Rouge ! s’écria-t-il.
Et je vais vous dire pourquoi : je puis disposer à ma guise de la pierre
de fronde que j’ai fait faire avec la cervelle du roi Mesgegra. Comme c’est moi
qui ai tué Mesgegra, moi qui lui ai tranché la tête et moi qui ai rapporté
celle-ci à Émain Macha, moi seul ai le droit de l’utiliser. »
Et, sortant sur ces mots, il alla dans la maison de la
Branche Sanglante où étaient exposées les dépouilles des ennemis vaincus, et
bientôt en revint, brandissant la cervelle de Mesgegra .
« Voyez ! dit-il aux Ulates. Je défie quiconque de
nier que je suis le meilleur des guerriers d’Ulster. »
Quand les hommes assemblés dans la maison virent son
attitude et qu’ils eurent entendu ses paroles pleines de morgue, ils se
gardèrent d’insister et affirmèrent à qui mieux mieux voir en lui le meilleur
guerrier non seulement de la province, mais de l’Irlande entière. Alors Conall,
satisfait d’une si flatteuse louange, retourna mettre la cervelle
de Mesgegra à la place qu’elle occupait dans la maison de la Branche
Sanglante.
Or, ce jour-là, Cêt, fils de Maga, le redoutable champion de
Connaught qui ne se couchait jamais sans avoir d’abord tranché la tête d’un
Ulate, s’était introduit subrepticement dans la forteresse d’Émain Macha. Et il
s’y tenait à l’affût d’une proie digne de lui, quand il vit Conall Cernach
déposer la cervelle de Mesgegra dans la Branche
Sanglante. Il se souvint alors de la prophétie faite par Mesgegra lui-même et
affirmant que sa mort serait vengée de façon éclatante sur le roi Conor. Cêt s’empara
donc de la cervelle de Mesgegra , se glissa hors de la
forteresse et, s’étant dissimulé de son mieux, se mit à épier tout ce qui se
passait, de manière à saisir l’occasion favorable à ses agissements.
Peu après, on vint avertir Conor que les hommes de Connaught
venaient de razzier de grands troupeaux sur les frontières de la province. Aussitôt,
il rassembla ses guerriers, fit atteler les chars et, en personne, les
conduisit vers le sud. Ils eurent tôt fait de rejoindre les pillards et une
mêlée confuse s’ensuivit, où Cêt, qui avait suivi les Ulates, se garda bien d’intervenir,
car il ne méditait rien moins que de tuer le roi Conor lui-même.
Or, depuis une colline, un groupe de femmes de Connaught
regardait le combat. Et comme elles s’extasiaient sur la prestance et la beauté
du roi, elles le prièrent de daigner sortir de la mêlée et venir les trouver
pour leur permettre de l’admirer à loisir. Intimement flatté, Conor sortit donc
des rangs et s’en fut vers elles ; mais Cêt, fils de Maga, s’était caché
dans leur groupe et, dès qu’il aperçut le roi, il banda sa fronde et lui
décocha si bien la cervelle de Mesgegra qu’elle pénétra
aux deux tiers de sa tête.
Alors, tandis que la bataille se poursuivait, des serviteurs
emmenèrent au triple galop de son char le blessé jusqu’à Émain Macha. Là, on
appela Fingen, habile médecin capable d’identifier la maladie dont un homme
était affligé rien qu’en observant la fumée qui sortait du toit de sa maison. Fingen
examina donc la blessure et dit à Conor :
« Si l’on ôte la pierre de fronde, tu mourras. Mais, si
on ne l’ôte pas, je me fais fort de te guérir. Néanmoins elle te gênera
beaucoup jusqu’à ton dernier souffle, et il te faudra ménager tes efforts. »
Avec l’accord de son patient, Fingen referma la blessure et
lui entoura la tête avec du fil d’or si semblable à la couleur de ses cheveux
que Conor conserva son aspect normal et que, grâce aux onguents répandus sur la
plaie, il n’éprouva plus aucune douleur.
« Je dois t’avertir, roi Conor, reprit néanmoins Fingen,
que, faute de suivre en tous points mes recommandations, tu risques de mourir. Écoute-moi
bien : tu dois éviter coûte que coûte de te mettre en colère, ou bien la
pierre sortira de ta tête ; il te faut éviter coûte que coûte de monter à
cheval, ou bien les secousses rouvriront ta blessure. De plus, tu ne devras ni
trop manger, ni t’abandonner à des ébats trop passionnés avec une femme, ni te
mettre à courir. À condition d’observer scrupuleusement ces préceptes, tu es
assuré de vivre longtemps [142] . »
Cependant, lorsqu’il eut appris l’accident survenu au roi
Conor et qu’on lui eut affirmé que Cêt, fils de
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