Les compagnons de la branche rouge
Ailill
et Maeve les emmèneront, sur les conseils pernicieux de Fergus, fils de Roeg, que
tu as gravement offensé lorsqu’il était le garant des fils d’Usnech. – Quand
donc cela arrivera-t-il ? – Une nuit, répondit la femme, la nuit où, dans
sept ans, surgira le taureau surnommé le Beau Cornu d’Aé : il viendra
dévaster ton pays et se battre contre un autre taureau connu comme le Brun de Cualngé.
C’est pour la possession de ce dernier qu’Ailill et Maeve rassembleront les
hommes d’Irlande, et ils t’infligeront grand dommage et grandes pertes, tant en
ce qui concerne tes biens propres que ceux des habitants de ta province. – Ce n’est
donc pas pour mon bien que tu es venue ! s’écria Conor, mais pour mon
malheur, assurément. Je ne le vois que trop, mes ennemis t’envoient me troubler
l’esprit par de mauvais présages. – Détrompe-toi, roi Conor. Une fois passés
ces événements fâcheux, ton peuple sortira vainqueur de l’épreuve. D’ailleurs, nous
n’en sommes pas là. Pour l’heure, il t’appartient d’accomplir de hauts faits. –
Je ne puis plus guère en accomplir depuis ma blessure, objecta Conor. Elle m’oblige
à me contenter d’être roi. – N’est-ce pas cependant ton rôle d’envoyer tes
champions se couvrir de gloire ? Il ne t’en manque pas, et qui ne
demandent qu’à te servir. – Il est vrai. Que dois-je faire, selon toi ? – Je
vais te le dire. Sur les marches de ton royaume, vers l’endroit où le soleil se
couche, habite, en sa forteresse de Glen Geirg, un roi très riche qui s’appelle
Gerg. Lui et sa femme, Buan, ont eu une fille très belle, du nom de Ferb, mais
qui ne demeure pas avec eux. Elle réside sur une île, dans une forteresse
malaisée d’accès, où elle garde maints trésors, et en particulier un chaudron
merveilleux dont la vertu est d’être inépuisable : on peut y verser le
lait de cinquante vaches et y puiser ensuite à satiété sans qu’il soit besoin
de l’emplir à nouveau. Ainsi, constamment plein, peut-il rassasier quiconque s’en
approche. Or, sache-le, il sera donné à l’homme qui épousera la fille de Gerg. Et
il se trouve que, demain, à la neuvième heure, celui-ci donnera un grand festin
dans sa forteresse en l’honneur de Mani Morgor, fils d’Ailill, qui compte lui
demander Ferb en mariage. C’est un bon combattant que ce Mani Morgor, et le
nombre de ses guerriers est de trois cinquantaines, tous hommes de grande
audace et de grand courage qui l’escorteront à Glen Geirg. Aussi obtiendra-t-il
le chaudron si tu n’interviens. – Certes, dit Conor, je ne voudrais pas que
cette merveille tombe entre les mains d’un ennemi. Combien de guerriers me
faut-il emmener ? – Rassembles-en trois cents autour de Couhoulinn »,
répondit la femme.
Et, après avoir prononcé ces paroles, elle disparut.
Conor s’éveilla au moment où apparaissait le soleil, et il
conta à la femme qui dormait à ses côtés le songe qui l’avait visité.
« Si tu voulais m’écouter, dit-elle, tu n’irais pas, car
il n’y a déjà eu que trop de disputes entre les hommes de Connaught et les
Ulates. – Je ne saurais laisser les hommes de Connaught s’emparer d’un tel
chaudron ! protesta Conor, mon devoir est de les en empêcher ! »
Il se leva donc, rassembla trois cents guerriers, parmi
lesquels se distinguaient Conall Cernach et Couhoulinn, et les emmena en
direction de l’ouest.
Quand ils atteignirent les abords de la forteresse de Gerg, ils
perçurent des flots de musique au-delà des murailles. Belle était la demeure
dont Gerg occupait le milieu, avec son épouse Buan, ses guerriers et ses
serviteurs. S’y trouvait aussi Mani Morgor, fils d’Ailill, avec ses trois
cinquantaines d’hommes qui, munis de boucliers de cuivre, avaient des anneaux d’or
dans leurs cheveux. On leur avait en outre donné à chacun un boisseau d’or et
des épées serties de pierres précieuses, et ils menaient grand tapage autour de
cent tables de bronze. Un chaudron, de bronze également, était posé à même le
plancher, rempli d’hydromel. Et, depuis trois jours et trois nuits, le festin s’était
si bien prolongé que chacun des convives était ivre.
Là-dessus, Conor et les Ulates arrivèrent à la porte de la
forteresse qu’ils trouvèrent ouverte et sans défense, de sorte qu’ils
aperçurent Gerg, Buan, Mani Morgor et les autres en train de boire et de manger.
« On aurait tout de même pu nous
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