Les Conjurés De Pierre
bruits vraiment étranges, répondit-il quelques secondes plus tard. On eût dit le frottement d’une meule. Je n’arrivais pas à dormir pourtant, habituellement, je dors comme un loir. J’ai cru que Belzébuth s’attaquait à l’église. Nous étions une douzaine, et, l’un après l’autre, nous nous sommes éveillés. La plupart d’entre nous ont eu tellement peur qu’ils ont attrapé leur balluchon et ont détalé en criant. Lorsque les bruits sont devenus plus forts et que les premières pierres sont tombées, j’ai commencé à mon tour à m’inquiéter sérieusement. J’ai collé mon oreille contre la porte pour écouter : pas une voix, rien, si ce n’est le bruit des pierres se fracassant sur le sol. J’ai cru que c’était la fin du monde, que les morts ressuscitaient et sortaient de leurs tombeaux. On voit des tableaux comme ça dans les églises. Puis le sacristain est arrivé, il avait l’air abasourdi et hébété. Il a parlé de tremblement de terre. Il voulait rentrer dans la cathédrale. Lorsqu’il a ouvert la porte, nous avons découvert le désastre…
Afra regarda le mendiant avec un regard incrédule.
— Regardez vous-même !
p ar l’embrasure de la porte, s’échappaient encore de gros nuages de poussière sèche irritant les bronches et piquant les yeux. Les premières lueurs de l’aube filtraient à travers les vitraux rouges et bleus. d ’énormes morceaux de pierre aussi longs que larges, mesurant bien une aune, gisaient épars sur le sol.
On eût dit des météorites tombées d’une autre planète. Le premier pilier, comme suspendu dans les airs, ne tenait plus que par un fil de pierre.
Un miracle qu’il ne se soit pas complètement effondré. À l’emplacement du socle, il y avait un énorme trou.
Afra leva des yeux effarés jusqu’à la voûte en croisée d’ogives dont les arêtes figuraient les mailles d’une toile d’araignée. Là-haut, pile au milieu, il manquait un morceau de la clef de voûte tombée par terre. Par la s ainte v ierge Marie et tous les saints – comment une chose pareille avait-elle pu se produire ?
Afra respirait difficilement, elle courut vers la sortie en s’écartant pour laisser entrer les curieux qui se pressaient maintenant à l’intérieur.
Elle rencontra sur le seuil le doyen du chapitre, Hügelmann von Finstingen.
— Dieu du ciel ! s’écria-t-il, la bouche encore pâteuse, où est passé maître Ulrich ?
— Je n’en sais rien, répliqua Afra, inquiète. Vous devriez le savoir, il était comme vous au banquet de l’évêque lorsqu’il a subitement disparu.
Elle n’eut pas le temps d’en dire plus. Au même instant tombait de la plate-forme au-dessus du porche, de l’endroit où la tour s’élevait, un linteau de pierre qui se fracassa sur le sol tout près d’elle. Hügelmann se figea d’effroi. Effrayé, il leva les yeux mi-clos :
— l à ! cria le doyen en pointant un doigt sur un homme encapuchonné qui courait le long de la balustrade. D’autres venaient de l’apercevoir.
— L’homme à la capuche ! s’écrièrent les uns puis les autres.
— Attrapez-le !
Une horde de solides gaillards se précipita dans l’escalier en colimaçon menant à la plate-forme.
Le doyen, alourdi par son embonpoint de bon vivant, s’écarta pour laisser passer les hommes devant lui avant de leur emboîter le pas en soufflant comme un phoque. Une fois en haut, il s’arrêta pour respirer.
Et, toujours hors d’haleine, s’écria :
— L’avez-vous attrapé ?
Les jeunes hommes, qui n’avaient pour la plupart guère plus de dix-huit ans, s’étaient armés de planches trouvées dans l’escalier en montant et fouillaient les moindres recoins.
En vain. L’homme à la capuche avait disparu sans laisser de trace.
— Pourtant, je l’ai vu de mes propres yeux ! affirma le doyen.
— Moi aussi ! renchérit un jeune homme au regard volontaire avec de longs cheveux bruns.
— Il ne peut quand même pas s’être évaporé dans les airs.
Hügelmann jeta un regard dépité dans le vide. Bien qu’il fît déjà jour sur la plate-forme, le parvis était encore plongé dans l’obscurité.
— Il est là ! s’écria subitement le doyen.
Les hommes accoururent vers la balustrade : l’homme à la capuche courait manteau au vent vers le sud.
— Arrêtez-le ! Saisissez-vous de lui !
Les gens en bas entendirent les appels et levèrent des yeux interrogateurs vers la
Weitere Kostenlose Bücher