Les Conjurés De Pierre
réponses le sont souvent. Le saccage de la cathédrale porte la signature de la loge des apostats, une confrérie d’hommes intelligents qui ont pour dessein la ruine de notre s ainte m ère l’ é glise. La loge se compose en grande partie de moines défroqués ou de grands dignitaires ecclésiastiques excommuniés, qui ont pactisé avec le diable. Ils sont d’autant plus dangereux qu’ils disposent de connaissances détaillées sur l’ensemble des institutions religieuses.
Leur réseau a infiltré la curie romaine. On dit même qu’un des trois papes se trouvant à la tête de l’ é glise actuelle appartiendrait à la loge des apostats. Si la vie que mènent les apostats ne nous donne aucun indice sur eux, la marque au fer rouge, cette croix barrée qu’ils ont tous à l’intérieur de l’avant-bras, nous permet de les identifier.
— Et vous soupçonnez maître Ulrich de porter sur son bras la marque de la loge ? s’enquit Afra en plaquant la main sur sa bouche, effrayée rien qu’à l’idée que Werinher pût avoir raison.
Les idées qui se bousculaient dans sa tête la plongeaient dans la confusion la plus totale.
Pour quelle raison Werinher Bott vouait-il tant de haine à Ulrich von Ensingen ? Elle ne connaissait rien du passé d’Ulrich. Elle ignorait tout de ses origines. Que faisait-il avant de s’occuper de la construction de la cathédrale d’Ulm ? Ulrich avait surgi un jour dans sa vie. Ou bien, était-ce elle qui avait surgi dans la sienne ? Afra n’aurait su le dire exactement.
Le parchemin !
En y repensant subitement, elle fut comme tétanisée. Et si Ulrich ne s’intéressait pas à elle mais au parchemin ? Mon Dieu, aurait-elle été si naïve ? Elle se rappelait fort bien les questions pressantes d’Ulrich au sujet du document lorsqu’ils avaient quitté Ulm comme des voleurs. Heureusement qu’il ignorait l’endroit où elle l’avait caché.
Tandis que Werinher Bott la regardait intrigué, Afra découvrit pour la première fois sur son visage une once de franchise.
L’ironie, la perfidie ou le cynisme qu’il affichait habituellement, avaient complètement disparu.
Alors, oubliant les allusions concernant Ulrich, elle s’enquit de savoir d’où il tenait ses informations sur la loge des apostats.
Werinher arbora un air condescendant, surprenant chez un homme aussi dégradé physiquement.
Comme de coutume, son visage se fendit d’un sourire impudent qui voulait dire tout et rien à la fois. Afra enrageait.
Alors, comme mue par une intuition subite, Afra s’avança spontanément vers l’homme, retroussa sa manche droite, retourna son bras et découvrit la marque au fer rouge, la croix barrée.
Elle resta pétrifiée d’effroi.
— Vous êtes…, balbutia-t-elle.
Werinher acquiesça silencieusement.
— Mais pourquoi…
— Oui, j’ai appartenu à la loge des apostats jusqu’au jour où j’ai eu cet accident. Un infirme, étant inapte à exercer une fonction religieuse, est d’office mis au ban de la loge. Je devenais gênant pour eux. Je venais tout juste d’échapper à la mort lorsqu’un inconnu a frappé à ma porte. Mon serviteur lui a ouvert et l’a introduit chez moi. Il portait un grand manteau noir à capuche, comme tous les apostats, et parlait avec un fort accent étranger. L’homme m’a expliqué que je ne pouvais désormais plus appartenir à la loge et, selon la volonté du Tout-Puissant, m’a glissé sans un mot une petite capsule dans la bouche. En partant, il s’est retourné et m’a dit à voix basse :
« Vous n’avez qu’à l’avaler, maître Werinher ! » Mais je l’ai recrachée. Elle est tombée dans mon pourpoint. Depuis, je la garde toujours sur moi.
Afra regarda l’homme dans son fauteuil roulant avec stupéfaction. Pour la première fois, elle éprouvait de la pitié pour cet être cynique et dur.
Elle restait perplexe devant la révélation que Werinher Bott venait de lui faire.
— En tout cas, je vous remercie de m’avoir avertie, dit-elle d’une voix désemparée.
Maître Werinher esquissa un sourire, un sourire surprenant, dénué de cynisme et de malveillance, plutôt empreint d’embarras.
— Peut-être aurais-je mieux fait de me taire, ajouta-t-il après un moment. Puis il appela son laquais qui attendait devant la porte.
Le laquais arriva et prit le fauteuil par-derrière. Werinher regardait devant lui, l’air absent. Sans dire un mot, il poussa Werinher à
Weitere Kostenlose Bücher