Les Conjurés De Pierre
Afra afficha le plus grand détachement, comme si elle n’attribuait à ce parchemin guère plus d’importance ou de valeur qu’à n’importe quel autre.
— Et si c’était le cas, frère Dominique ? Si j’avais vraiment caché le parchemin dans cette bibliothèque ? dit-elle en fixant le vieillard de ses yeux graves.
— Je n’aurais pu imaginer meilleure cachette. q uoique…
— Oui…
— La bibliothèque pourrait disparaître dans les flammes.
La froideur et l’objectivité de cette réflexion inquiétèrent Afra. Spontanément, elle jeta un œil sur la lanterne que le vieil homme avait suspendue à la tranche d’un livre.
Le moine ne sembla pas remarquer l’inquiétude subite d’Afra. Il prenait un livre puis un autre sur les étagères, jetait un coup d’œil rapide puis le remettait à sa place.
Quand il eut enfin trouvé son bonheur, il parut soulagé, hocha la tête et se tourna vers Afra :
— Je vais vous quitter maintenant. Je dois être rentré avant l’aube au couvent de la Sainte-Trinité. Quant à vous, femme, quelles sont vos intentions ?
Afra le regarda avec un air mitigé : devait-elle s’ouvrir à frère Dominique ? Bien que son comportement soit énigmatique et obscur, il avait un visage franc. Afra l’offenserait en lui refusant sa confiance. Elle lui répondit sur un ton encore indécis :
— Je vais passer la nuit ici. Je n’ai plus de maison.
Le moine dévisagea Afra sans dire un mot. Il sentait qu’elle allait continuer à parler.
C’est du reste ce qu’elle fit.
— Je m’appelle Afra, je suis la femme de l’architecte. Après vous avoir quitté hier soir, j’ai retrouvé ma maison en flammes. Je suis certaine qu’il s’agit d’un acte criminel. Celui qui a mis le feu voulait détruire le parchemin. Dans ma détresse, je me suis rendue chez frère Jakob, qui occupe votre place désormais. Il me devait un service. Je sais évidemment qu’un couvent de dominicains n’est pas l’endroit idéal pour cacher une jeune femme, mais je ne savais où aller et je n’avais pas envie de passer la nuit sur le parvis de l’église avec les mendiants.
Dominique eut un hochement de tête compréhensif.
— Ne vous inquiétez pas, jeune Afra, il est rare qu’un moine pénètre dans cette bibliothèque. Pendant que je travaillais ici, tout le monde pensait que seul le diable arpentait ces allées. Je dois avouer que je me suis appliqué à entretenir cette rumeur. Le v endredi s aint et le jour de l’Ascension, je prenais quelques ossements dans la crypte que je disposais sur les marches de l’escalier menant à la bibliothèque. Cela causait de telles frayeurs chez mes frères qu’ils ne se risquaient plus ici. Ainsi donc je pouvais profiter des lieux en toute tranquillité pendant quelque temps. Si vous le souhaitez, je laisse en partant un tibia sur une marche, comme cela personne ne viendra vous déranger, dit-il avec un sourire malicieux.
Afra n’avait pas envie de rire.
— Hier, vous m’avez conseillé de jeter le parchemin au feu, dit-elle prudemment, mais tout de suite après, vous prétendiez qu’il valait une fortune.
— Oui, c’est effectivement ce que j’ai dit. Vous avez bien dit que l’auteur se réfère au CONSTITUTUM CONSTANTINI.
— Oui, c’est bien le cas, frère Dominique.
— Montrez-moi le parchemin !
Afra jeta un regard à la dérobée à l’endroit où elle avait caché le document. Mais la travée était plongée dans l’obscurité.
— Cela ne servirait à rien, répondit-elle sur un ton ferme.
— Que voulez-vous dire, femme ?
— Il est écrit à l’encre sympathique. Je suis déjà parvenue une fois à convaincre un alchimiste de révéler le texte. Le lendemain, l’alchimiste avait disparu et, peu de temps après, il était mort, poignardé.
— Aviez-vous eu l’impression que l’alchimiste avait compris le sens du texte ?
— De prime abord, non. Mais depuis, plus je repense à son attitude, plus je suis certaine qu’il comprenait parfaitement ce qu’il lisait. Il n’a pas gardé pour lui ce qu’il savait et il a été assassiné.
— Où cela s’est-il passé ?
— Son cadavre a été retrouvé devant les portes d’Augsbourg. Sa compagne m’avait dit qu’il avait l’intention de rendre visite à l’évêque de cette ville.
Frère Dominique resta un instant muet de surprise, le visage marqué par le travail qu’accomplissait son esprit en
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