Les Conjurés De Pierre
Constance, fit remarquer Armandus l’air de rien.
— L’architecte ! s’exclama Afra d’une voix qui trahissait son émotion.
Armandus opina du chef.
— Comme tant d’autres architectes d’ailleurs. Constance est un grand rendez-vous pour les gens du métier. Nulle part ailleurs, ils ne trouveraient un tel rassemblement de commanditaires potentiels. Mais cela ne doit pas vous inquiéter outre mesure.
Il se tut un moment puis demanda, impromptu :
— Quelles sont vos relations avec l’ambassadeur Pietro de Tortosa ?
— Puisque cela vous intéresse, je vais vous le dire, répondit Afra furieuse, je n’ai aucune relation particulière avec lui !
L’apostat marmonna une excuse et prit congé à la hâte. En partant, il croisa son index sur les lèvres et, avant de disparaître, lui lança tout bas :
— J’attends de vous la discrétion la plus totale !
Cette entrevue avait ébranlé Afra. Elle avait peur. Que penser désormais ? Armandus Villanovus l’avait-il crue ? Tout cela n’était-il qu’une habile manœuvre pour lui tirer les vers du nez ? Se pouvait-il que les apostats aient déjà percé son jeu, qu’ils sachent depuis longtemps déjà qu’elle n’était pas Gysela Kuchler ?
Sa confusion était encore plus grande depuis qu’elle avait appris qu’Ulrich n’appartenait pas à la loge. Comment avait-elle pu imaginer tout cela, inventer de A à Z une histoire cohérente qui n’avait jamais existé ? Dans des situations particulièrement dramatiques, l’homme a tendance à trouver des explications faciles qui, avec un peu de recul, s’avèrent complètement fausses. Se pouvait-il aussi qu’Armandus Villanovus ait voulu simplement la rassurer, lui redonner confiance en Ulrich pour lui tendre un piège ?
Mais en y réfléchissant bien, cela ne tenait pas la route. Villanovus en avait trop dit sur lui et sur les machinations des apostats.
À la suite de cette rencontre, Afra erra sans but dans les rues de Constance, histoire de penser à autre chose. La ville ne manquait pas de distractions. Ce ne furent pas les spectacles que proposaient à chaque coin de rue les saltimbanques, les bateleurs et les comédiens itinérants qui lui permirent de s’évader mais le discours enflammé que tenait un prêtre érudit un peu à l’écart sur un marché. L’homme, barbu et frêle, portait une robe noire et une barrette noire. Juché sur un tonneau, il haranguait la foule sur un ton radicalement différent des prêches tenus habituellement en chaire.
En un clin d’œil, la nouvelle s’était répandue que Jan Hus, le réformateur de Bohème, excommunié par le pape trois ans auparavant, tenait un discours sur le marché. Les curieux affluaient des rues avoisinantes. Tout le monde voulait voir ce petit homme qui tenait tête au pape.
Le roi Sigismond avait exigé de lui qu’il aille défendre ses thèses devant le concile et l’avait assuré de sa protection. Hus, dont la taille était inversement proportionnelle à son courage, avait accepté de se présenter au concile.
Afra se trouvait au milieu des auditeurs serrés les uns contre les autres et suspendus aux lèvres du prédicateur qui parlait avec un accent tchèque très prononcé. Il critiquait avec virulence le pape, l’Église et sa sécularisation. Jean Hus exprimait tout ce qu’Afra et tant d’autres pensaient tout bas. Il était extraordinaire qu’il ose le dire ainsi sur la place publique.
— Vous tous qui vous dites chrétiens, qui suivez les commandements de l’ é glise, lança-t-il d’une voix sonore sur la place, vous n’êtes que les moutons d’un berger qui voudrait se faire passer pour un saint alors qu’il est aussi éloigné de la sainteté que l’enfer ne l’est du ciel. Un pape qui ne calque pas sa vie sur celle du Christ n’est aucunement un saint, même s’il a été élu conformément aux lois de l’ é glise. Ce n’est qu’un Judas.
Rares étaient les auditeurs osant applaudir, ceux-là embarrassés, levaient leurs mains en détournant la tête pour ne pas être identifiés.
— À l’époque où notre Seigneur Jésus est descendu sur la Terre, poursuivait Jan Hus, ses disciples vivaient dans le dénuement et l’amour du prochain à l’instar de leur maître. Et aujourd’hui ? Les disciples du Seigneur, les curés, les prélats, les doyens, les chanoines, les abbés et les évêques se vautrent dans le luxe, s’entichent de toutes les inepties à la
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