Les Conjurés De Pierre
l’Ascension et la Pentecôte.
Pour satisfaire ses appétits encore bien vaillants, Ulrich se rendait dans les établissements de bains où des femmes sensuelles proposaient leurs services.
Il se dédouanait ainsi de tout engagement et n’avait qu’à s’acquitter de quelque cinq sous en contrepartie d’un moment de plaisir.
C’est donc par nécessité qu’Ulrich avait reporté toute son ardeur dans le travail. Son ambition et ses dons personnels lui avaient valu une reconnaissance et une réputation s’étendant au-delà des frontières.
Tout cela expliquait son étrange comportement, sa solitude choisie et son refus de fréquenter la gent féminine. Ulrich von Ensingen passait pour un original. La construction de la cathédrale lui rapportant beaucoup d’argent, il ne comptait pas que des amis dans la ville. On l’appelait « Monsieur l’orgueilleux ».
Il le savait et s’en accommodait.
Il sut donc, d’emblée, de quel côté il fallait orienter ses recherches pour trouver les auteurs de ces tentatives d’assassinat. Ulrich fournit au prévôt Benedikt des noms, et ce dernier ordonna à ses sergents de surveiller certains individus.
Ce fut plutôt par hasard que le prévôt rencontra un de ces parvenus, dont la ville ne manquait pas, dans la rue des teinturiers, située dans un quartier assez malfamé. Comme son nom l’indique, c’était la rue où étaient installées les teintureries.
Quand on y croisait un artisan, on remarquait aussitôt sur lui la marque fatidique de son labeur quotidien, indiquant le côté de la rue où se trouvait son atelier. Celui qui travaillait le bleu avait les mains bleues et était installé côté extérieur de la ville, tandis que celui qui travaillait le rouge avait les mains rouges et était installé côté intérieur.
Un homme aux mains rouges se dirigeait vers L’Ochsen , une taverne fréquentée essentiellement par des charretiers. Le lieu était bon marché, bruyant et propice aux conversations à l’abri des oreilles indiscrètes. C’est du reste la réflexion que se faisait le prévôt en pénétrant discrètement dans la taverne. Son flair ne le trompait pas.
Parmi les charretiers braillant, les crieurs publics et les colporteurs, parmi les femmes légères et les journaliers fauchés qui suçaient les os restant sur les tables, Gero Guldenmundt, le jeune héritier élégant, trônait comme un prince au milieu d’une troupe de vauriens et de bons à rien jouant apparemment aux dés. Un homme malingre, vêtu pauvrement, semblait avoir gagné. Benedikt ne comprit pas quel avait été exactement l’enjeu. Quoi qu’il en soit, les autres se moquèrent de l’homme et Gero l’encouragea d’une tape sur l’épaule en lui tendant quelque chose enveloppé dans un chiffon.
Gero semblait subitement pressé, il fut le premier à partir. La bande de vauriens, tout aussi empressée, le suivit dans la foulée. Le prévôt, un vieux renard rusé à qui personne ne pouvait en compter, attendit patiemment que l’homme quitte la taverne avec son paquet de chiffons sous le bras et se lança à ses trousses.
Quelques mètres plus loin, l’homme s’immobilisa et regarda autour de lui pour s’assurer que personne ne le suivait, puis s’engagea sur la place de la cathédrale.
Le prévôt le suivit à distance raisonnable jusqu’à un tas de pierres derrière lequel il se cacha.
De là, il put voir le mystérieux homme grimper sur l’échafaudage. L’esprit sans doute engourdi par la bière, il ne prenait pas les précautions élémentaires de prudence. Il jetait le paquet d’un mouvement brusque sur la plate-forme supérieure avant de se hisser jusque-là. Au moment où il lançait le paquet sur le dernier palier où se trouvait la baraque de l’architecte, il rata son coup. Le paquet glissa et tomba dans le vide, les chiffons se déployèrent comme une voile, libérant un objet métallique qui tomba sur le sol en cliquetant. Cramponné à l’échelle la plus haute, l’inconnu jura discrètement, puis amorça la descente.
Arrivé en bas, toujours en maugréant, il voulut ramasser l’objet, tendit la main vers le sol où elle fut plaquée par un pied.
L’ivrogne fut saisi d’un terrible effroi, crut que le diable le tenait prisonnier entre ses serres et fit de grands moulinets dans l’air avec le bras gauche.
— Que Dieu vienne à mon secours ! s’écria-t-il si fort que son appel à l’aide résonna dans l’obscurité de la
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