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Les Conjurés De Pierre

Les Conjurés De Pierre

Titel: Les Conjurés De Pierre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philipp Vandenberg
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interrompit Agnès, voulant mettre un terme à ces flatteries. Cessez de lui faire tourner la tête avant qu’elle ne devienne vaniteuse et qu’elle se refuse à travailler à la cantine. 
    Lorsque le tailleur fut parti, Agnès dit à Afra en aparté :
    — Tu ne dois pas prendre pour argent comptant tous ces boniments de la gent masculine. Les hommes mentent autant qu’ils respirent. Même Pierre, le premier pape, a renié notre Seigneur.
    Afra se mit à rire sans en croire un traître mot.
    Comme à l’accoutumée, elle se rendit le lendemain matin avant le lever du soleil sur la grande place pour mettre en route les fours de la cantine.
    Une carriole passa en bringuebalant sur les pavés du quai aux Cerfs. Des cochons fouinaient dans les détritus devant les portes des maisons en poussant des grognements. Des servantes vidaient les pots de chambre de leurs maîtres par la fenêtre.
    Afra s’écarta pour ne pas être aspergée. Les odeurs des matières fécales se mélangeaient à celles des épaisses fumées s’échappant des fours des artisans, des bouilleurs de colle, des teinturiers, des charcutiers, des boulangers, des chapeliers et des brasseurs. Le trajet dans les rues qui s’éveillaient lentement ne ressemblait pas à une promenade d’agrément.
    Quand Afra arriva sur la place de la cathédrale, elle leva les yeux, comme chaque matin, vers la baraque dans les échafaudages.
    La lumière encore douce de ce début de matinée illuminait l’enchevêtrement de poteaux, de planches et d’échelles. Ulrich n’était pas là. Elle allait vers la cantine lorsqu’elle se figea, saisie d’effroi. Elle venait d’apercevoir dans l’obscurité un tas de vêtements sur le sol. Plus loin, une chaussure sur les dalles.
    Afra n’était plus qu’à trois ou quatre coudées lorsqu’elle poussa un cri retentissant, un cri qui résonna sur toutes les façades des maisons bordant la place. Devant elle gisait le corps brisé d’un homme. Son visage était tourné face contre terre et baignait dans une mare de sang déjà noir. On voyait à peine ses bras et ses jambes recroquevillés dans une étrange position. Afra tomba à genoux, éclata en sanglots, puis leva les yeux vers la baraque de l’architecte.
    Des ouvriers se rendant à leur travail accoururent de toutes parts.
    — Qu’on appelle un médecin ! cria quelqu’un.
    Le jour se levait maintenant sur la place.
    — Que le curé vienne avec son attirail pour lui administrer les derniers sacrements ! lança un autre.
    Afra joignit les mains. Des larmes roulaient sur ses joues. « Qui a fait cela ? », répétait-elle. « Mais qui donc ? »
    Un tailleur de pierre bien bâti, avec un épais tablier de cuir noué autour du ventre, essaya de relever Afra.
    — Viens, dit-il doucement, il n’y a plus rien à faire. 
    Afra le repoussa :
    — Laisse-moi !
    Des curieux s’étaient entre-temps attroupés autour du mort. Bien qu’un maçon ou un charpentier tombe presque chaque jour de l’échafaudage, que des tailleurs de pierre meurent écrasés sous des linteaux, la mort d’un homme restait toujours une attraction.
    On s’estimait, en fin de compte, toujours heureux d’avoir échappé une fois de plus à la mort.
    Une grosse matrone observait la scène en enchaînant les signes de croix. Elle semblait écœurée, presque dégoûtée par le corps brisé en morceaux.
    — Qui est-ce ? demanda-t-elle. Quelqu’un le connaît ? 
    Afra enfouit son visage en larmes dans ses mains. Elle essayait en vain de réprimer les convulsions qui secouaient son corps. Ils devaient bien être au moins une trentaine de curieux maintenant se pressant autour du cadavre et s’interrogeant sur son identité. Un homme énergique se fraya un passage à travers les rangs.
    — Que se passe-t-il ? dit-il d’une voix forte en écartant les badauds. Laissez-moi passer !
    Afra entendit la voix et la reconnut sans pour autant réagir. Elle restait là, perdue dans ses pensées, revivant les instants qu’elle avait passés dans les bras d’Ulrich.
    — Mon Dieu, entendit-elle.
    Afra leva les yeux. Tout son corps resta comme paralysé pendant un instant qui lui parut immensément long. Elle avait le souffle coupé.
    Ses bras et ses jambes refusaient d’obéir, ses yeux refusaient de voir et ses oreilles d’entendre. Ce n’est que lorsque l’homme lui prit le bras et la toucha qu’elle recouvra ses esprits.
    — Maître Ulrich ? Vous, ici ?

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