Les conquérants de l'île verte
leur satisfaction freina leur élan, ce qui n’était pas du goût de
Brennos : son but était d’aller bien au-delà, et de découvrir enfin un
pays où lui et les siens pourraient s’établir dans la prospérité et l’aisance.
Aussi, n’eut-il de cesse qu’il n’eût engagé ses gens à porter les armes contre
les Grecs. Il leur tint d’éloquents discours où il peignait d’un côté la Grèce
épuisée, de l’autre l’opulence de ses villes, la richesse de ses temples et les
masses d’or et d’argent promis à l’audace.
Brennos, pour exciter les Gaulois à le suivre, fit défiler
dans les assemblées du peuple des prisonniers grecs à tête rasée qu’il avait
choisis parmi les plus chétifs et les plus malingres, et les fit suivre par
ceux de ses hommes les plus massifs et les plus robustes : ainsi pouvait-il
affirmer que des guerriers si puissants n’avaient rien à craindre d’ennemis si
fragiles et si démunis.
De cette façon, il réussit à lever une formidable armée de
cent cinquante-deux mille fantassins et deux mille quatre cents cavaliers.
Chaque maître avait deux valets qui marchaient immédiatement derrière
lui : s’il perdait son cheval, l’un d’eux lui donnait le sien et, s’il
était tué lui-même, prenait sa place dans le combat. Et, si tous deux
succombaient, le troisième leur succédait. Les Gaulois appelaient cette sorte
de milice trimarkesia , terme issu du mot marka qui, dans la langue celtique de l’époque, signifiait
cheval. En cet équipage, Brennos mena, sûr de lui, son armée jusqu’en Grèce.
Il ne manquait ni d’audace ni d’expérience. Il était même
fertile en ruses et en expédients de toutes sortes pour tromper l’adversaire.
Une nuit, la destruction des ponts du fleuve Sperchios, loin de le mettre en
peine, lui inspira d’envoyer dix mille hommes vers l’embouchure. Il voulait
qu’ils pussent passer sur l’autre rive à l’insu des Grecs. À cet endroit, le
fleuve, en effet, ne précipitait pas ses flots comme ailleurs, mais se
répandait à travers la campagne, y formant un véritable marécage. Or, parmi ces
dix mille hommes, les uns savaient parfaitement nager, et les autres étaient de
très grande taille : à cet égard, Brennos n’avait que l’embarras du choix,
les Celtes surpassant tous les autres peuples par leur stature. Et voilà
comment une partie du détachement put passer le fleuve à la nage, cette nuit-là,
tandis que l’autre traversait à gué, exploit impossible à des gens plus petits.
Cependant, Brennos avait ordonné aux habitants des environs
du golfe Maliaque de jeter un pont sur le Sperchios, et ceux-ci s’activèrent,
tant les terrifiaient les guerriers en armes qui les entouraient et les
obligeaient à travailler jour et nuit. Quand le pont fut achevé, les Gaulois
traversèrent le fleuve et s’avancèrent vers Héraclée, pillant toutes les
demeures qu’ils rencontraient, tuant autant d’hommes qu’ils en découvraient,
éparpillés dans la campagne. Mais peu importait à Brennos la prise d’Héraclée.
Il voulait seulement chasser de ses remparts la garnison qui, sans cela,
l’empêcherait de gagner le passage des Thermopyles.
Après quelques rudes combats, Brennos réussit à mettre en
fuite la garnison. Étant passé sans encombre sous les murs d’Héraclée, il
poursuivit sa course vers les Thermopyles et résolut d’attaquer les Grecs qui
ne manqueraient pas de s’opposer à lui de toutes leurs forces. Il fixa la
rencontre au lendemain, au lever du soleil. Les Grecs marchèrent au combat en
bon ordre et dans un silence total. Fatigués par leur longue errance, les
Gaulois n’étaient, eux, ni au mieux de leur forme ni puissamment armés, loin de
là : ils n’avaient guère que leurs boucliers et en étaient réduits à se
jeter sur l’ennemi avec une aveugle impétuosité, telles des bêtes féroces sur
leurs proies.
Pourfendus à coups de hache, percés de coups d’épée, ils ne
lâchaient pourtant pas prise et ne perdaient pas l’air menaçant et opiniâtre
dont ils étaient coutumiers. Leur fureur ne connaissait pas de bornes, et ils
luttaient jusqu’au dernier souffle. On en voyait qui n’arrachaient de leurs
plaies les traits mortels dont ils étaient atteints que pour les relancer
aussitôt contre les Grecs ou en frapper ceux qui les approchaient trop.
Cependant, les Athéniens les prirent si bien de flanc que
les envahisseurs ne purent sortir des défilés où ils
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