Les conquérants de l'île verte
femmes, mais son extrême beauté la faisait
rechercher par une foule de prétendants. Seulement, son aspect, l’admiration
qu’on lui vouait l’avaient enflée d’un tel orgueil qu’elle refusait tous ceux
qui se présentaient à elle, les jugeant indignes de son rang comme de ses
charmes.
À la même époque, le grand Héraklès venait d’affronter
l’horrible géant Géryon, qui avait trois têtes et trois corps. Après une lutte
sans merci, il avait tué ce monstre et emmené son troupeau de génisses. C’est
alors qu’il quitta l’Érythie, poussant celles-ci devant lui, et il erra
longuement à travers la Celtique, espérant y trouver un lieu où bâtir une
ville. C’est ainsi qu’il arriva chez le père de Celtiné, qui le reçut, lui
procura de bons pâturages et l’invita à s’établir dans son royaume.
Or, dès qu’elle aperçut Héraklès, la belle Celtiné en devint
amoureuse, car un tel homme, d’une si grande taille et d’une si belle
prestance, se disait-elle, devait forcément lui être destiné. Par malheur,
Héraklès ne semblait guère lui prêter attention, tout occupé qu’il était avec
ses génisses. Alors elle imagina une ruse et, un soir, cacha les bêtes dans une
caverne dont elle était seule à connaître l’entrée.
Héraklès fut en grande angoisse lorsqu’il s’aperçut de la
disparition de son troupeau, et il se jura de le retrouver au plus tôt. Il
arpenta donc les vallées les plus écartées et les plus secrètes, mais sans
trouver le moindre indice ; et il avait beau interroger les gens qu’il
rencontrait, il n’en recevait aucune réponse qui pût le mettre sur le bon
chemin. Alors, la belle Celtiné vint le trouver. « Je peux te faire
retrouver tes génisses, lui dit-elle, mais il te faudra d’abord me jurer
d’accepter mes conditions. »
Héraklès jura, et elle le conduisit à la caverne où se
trouvaient les génisses. Fou de joie, Héraklès les mena dans une belle prairie
mais, le soir, il dut se soumettre aux conditions posées par la jeune fille. Et
ces conditions étaient qu’il consentît à s’unir à elle. Et comme il commençait
à priser ses charmes, il se soumit de fort bon cœur.
De leur étreinte naquit un fils qui fut nommé Celtos en
l’honneur de sa mère. Il surpassait de beaucoup tous les gens du pays par la
vaillance de son âme et la force de son corps. Arrivé à l’âge d’homme et ayant
hérité du royaume de ses ancêtres, il conquit une grande partie des régions
voisines et se signala par mille hauts faits. Et, pour marquer sa puissance, il
donna son nom aux peuples qu’il avait rangés sous sa loi ; puis ce nom
finit par s’étendre à tout le pays des Celtes.
Ses descendants régnèrent dans la paix et la prospérité, et
ils construisirent de vastes forteresses pour se protéger d’éventuelles
invasions. Aussi braves que généreux, ces souverains s’entouraient d’artistes
et de poètes. L’un d’eux, qu’on appelait Luern, faisait tout son possible pour s’attirer
les faveurs de son peuple. Quand il passait en char à travers les campagnes, il
jetait de l’or et de l’argent à la multitude d’hommes et de femmes qui le
suivaient ou qui se pressaient sur le bord des chemins. Parfois, il faisait
aplanir et enclore un grand espace de terrain, y faisait apporter des cuves
pleines de boissons précieuses et des victuailles en telle quantité que,
plusieurs jours durant, chacun pouvait entrer librement dans l’enceinte et se
régaler des mets qu’on y apprêtait et servait sans interruption à tout nouvel
arrivant.
Un jour – la date avait été fixée longtemps à l’avance –, le
roi Luern donna un grand festin à tout ce que comptait le pays de poètes et de
musiciens. La fête fut somptueuse et dura de longues heures. Les convives
commençaient à se lever pour prendre congé quand survint un poète, qui avait
pris beaucoup de retard. Voyant la fête terminée, il alla au-devant de Luern et
lui chanta un chant dans lequel il célébrait la magnificence du roi, tout en
gémissant du retard qui l’avait privé d’une si grande joie. Le roi, amusé et
charmé par ses vers, demanda une bourse d’or à l’un de ses serviteurs et la
jeta aux pieds du poète qui courait derrière son char. Le poète ramassa la
bourse, mais il n’en poursuivit pas moins sa course, tout en faisant entendre
un autre chant, disant que les traces laissées sur la terre par le char du roi
étaient des sillons
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