Les contrebandiers de l'ombre

je comprends pourquoi tu étais tant amoureuse de Dante Leighton. C'est le plus bel homme que j'aie jamais vu. Il ressemble à un dieu grec. N'est-ce pas, maman ? Et tu as vu comme M.
    Marlowe est attirant ? demanda Anne avec un trémolo incontrôlable dans la voix.
    Mais la coupe venait de déborder :
    — Tu parles d'une chance de pendu ! s'écria lady Bess en larmes. Ce n'est pas assez d'avoir fait cette erreur, mais combien de temps devrai-je la payer? Qui aurait pensé que Dante Leighton serait revenu à Merdraco riche comme Crésus ? Quelle honte !
    — Maman !
    — Quoi ? renifla-t-elle, en essuyant ses larmes du revers de son gant.
    — Je crois que c'est Jack Shelby, droit devant. Il est avec des types de sa bande, annonça Anne d'une voix tremblante.
    Shelby était devenu leur cauchemar à toutes les deux. Lady Bess se prépara à affronter bravement le torrent d'insultes. Les valets de Dante ne lui seraient d'aucun secours si Shelby devenait plus mauvais que d'habitude.
    — Tiens, tiens ? Mais qui voilà ? cria-t-il, joyeux. On a fait sa petite promenade ?
    Bess ne put contrôler un frisson devant cet homme. Elle se souvenait, comme d'une douloureuse brûlure, de ses mains sur son corps.
    — Comme vous êtes observateur...

    — Toujours très fière, la Bessie, hein ? répondit-il. (Il ne l'avait jamais vue aussi séduisante.) Je croyais vous avoir appris une leçon ou deux, à propos du respect que j attends de vous.
    Le cœur de lady Bess battait difficilement sous son jabot serré.
    — J'ai dû oublier...
    — Ah, Bessie, quelle femme vous faites ! Je crois bien qu'il faudra réviser cette leçon ensemble, très bientôt... Et cette fois, fit-il en se retournant vers Anne, je compte bien qu'il n'y ait pas d'interruption. N'est-ce pas, Annie ?
    La fille de lady Bess était pétrifiée de terreur.
    — Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je désire regagner Seawick avant qu'il ne pleuve encore, fit Bess.
    — Mais bien sûr, m'lady. Je ne voudrais pas que vous attrapiez froid à cause de moi ! ricana Shelby. (Brusquement, il posa la question délicate :) Et que faites-vous sur ce chemin ? Il mène à Merdraco. Vous ne pouviez pas résister à l'envie de faire une visite à votre ancien beau, hein, Bessie ?
    — Hors de mon chemin !
    — Et comment va-t-il, depuis tout ce temps ? miaula Shelby avec mépris. Vous avez présenté vos respects à la petite mignonne qu'il a ramenée chez lui ? Il a toujours eu le coup d'œil pour ça, l'ordure !
    Elle savait parfaitement comment ce sourire haineux pouvait être effacé.
    — Nous avons pris le thé au pavillon, que lady Rhea a rendu absolument magnifique, déclara lady Bess d'un ton pincé. Et maintenant que Dante est revenu si riche, Merdraco ne tardera pas à ressembler à ce qu'elle était, il y a quinze ans, et même mieux encore. Et le jeune Leighton continuera cette heureuse tradition.
    Effectivement, le visage de Shelby se modifiait à chaque mot qu'elle prononçait. Bess se demanda s'il pourrait supporter le coup. Mais il l'avait poussée trop loin et elle ne voulait pas l'épargner.
    — Faut bien qu'il en profite, car il ne lui reste pas longtemps à vivre, hurla-t-il. Son héritier le sera plus vite qu'on ne le pense. Y a qu'à attendre, et vous le verrez payer pour avoir tué ma Lettie.
    D'un geste du menton, il fit signe à sa troupe, puis partit en ricanant.
    — Maman, demanda Anne, stupéfaite, maman, pourquoi n'as-tu rien dit ? Tu aurais pu lui dire que lord Jacobi n'a pas tué sa fille. Tu en avais la preuve ! Pourquoi n'as-tu rien dit ?
    Pourquoi le laisses-tu traiter lord Jacobi comme ça ? S'il le tue, ce sera ta faute !
    Pour la première fois de sa vie, Bess lut le mépris dans les yeux de sa fille. La honte lui monta au visage. Elle avait mal agi, mais que faire d'autre quand on vit sur un mensonge depuis si longtemps ? N'était-il pas trop tard pour dévoiler un secret si vieux ?

    Un autre secret était né entre les deux jeunes garçons qui n'avaient rien dit de la façon dont ils avaient failli être noyés, ni du miraculeux dénouement d'une histoire qui aurait pu se terminer en tragédie dans le fond de cette caverne. Ils avaient tu l'étonnante découverte qu'ils avaient faite dans la seconde chambre : un passage souterrain par lequel ils avaient fui l'inondation.
    Ce passage, creusé par la main de l'homme, protégé par des madriers très anciens, conduisait à travers l'obscurité sur ce qui leur avait semblé des